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15 septembre 2018 6 15 /09 /septembre /2018 10:50

L’article d’Amédée Gastoué : César Franck et Paul Poujaud à propos d'un thème de folklore, le Chant de la Creuse paru dans la Revue de Musicologie, Tome 18, n°62, 1937, (pp. 33-38),  étudie ce Chant de la Creuse inclus dans les œuvres posthumes de César Franck (dans L'organiste, pièces posthumes pour harmonium ou orgue à pédale pour l'office ordinaire.) On peut écouter la pièce pour orgue, très brève, ici dans une interprétation de Pierre Astor sur l'orgue ancien de Firminy, ou , jouée par Johannes Schröder à Rothenbach. C'est lent et poignant ; si un air folklorique est à l'origine, César Franck l'a considérablement modifié, par exemple en écrivant sa pièce en ré mineur.

 

L’article est accompagné de deux lettres de Paul Poujaud. Dans la première (datée du 28 octobre 1930) il évoque les circonstances où il a entendu cet air. C’était en octobre 1887 sur "la petite route qui monte" entre Glévic (c’est ce qu’écrit la Revue de Musicologie, avec un v) et Pierre Blanche. Il faut comprendre Glénic (avec un n, prononcer /gleni/ ) ; les lieux sont sur la carte topographique (voir sur Géoportail).

Un laboureur, tout en guidant le bœuf, chantait un air que Paul Poujaud trouvait très beau. Il le nota soigneusement. Ce sont ces notes qu’il envoya à César Franck. Au bout du sillon, il parla au laboureur, "un beau gars, bronzé comme un pâtre albin. (…) Il tenait la chanson de son grand-père, qui la chantait toujours en labourant. Elle n'avait pas de paroles." Poujaud (né en 1856) avait entendu la chanson dans son enfance. Il en donna quelques vers en "patois" de la Marche creusoise et proposa la traduction en français.

Dans sa deuxième lettre (du16 novembre 1930) Paul Poujaud explique que Charles Bordes est venu dans la Creuse, "deux ans après la mort de Franck…" (c’est-à-dire en 1892) et a "…cherché d'autres chants marchois. Mais il ne put recueillir que des noëls, des marches, des pastourelles sans grand caractère."  Il les a notés, comme il avait fait au Pays Basque (missions en 1889 et 1890).

On peut supposer que Paul Poujaud l’a conduit à Valette dans la commune de St Fiel (où il est mort en 1936). A Valette il y avait trois fermes qui avaient été achetées par le père de Paul Poujaud, Emile Poujaud, en 1826. Pour des raisons obscures de dot et d’héritage, le lieu appartenait à la famille Jorrand, mais Paul Poujaud avait la jouissance de la "Maison Jorrand". Ses lettres à Dukas (actuellement à Yale University) sont envoyées de Guéret (où Paul Poujaud vivait chez les Jorrand, 38 rue du Prat) et quelquefois de Valette. Le lieu était idéal pour le type d’enquête ethno-musicologique que menait Charles Bordes.

Forcément, Paul Poujaud a emmené son ami de l’autre côté de la rivière Creuse, là où il avait entendu un laboureur chanter ce Chant de la Creuse qui a inspiré César Franck. Le village de Glénic est sur une colline qui domine la rivière. Forcément Paul Poujaud y a conduit son ami.


Sur la place du village, il y a une petite église remarquable, fortifiée aux 14e et 15e siècles. Charles Bordes n'y a pas vu les fresques du 15e siècle, révélées en 1973, notamment celle d'Adam et Eve. Elle aurait parlé à ce pécheur, ce chrétien tourmenté. N'écrit-il pas à Guy Ropartz (voir dans ce blog le billet du 8 décembre 2013), en mars 1897 : " Vraiment le Bon Dieu n'est pas toujours très juste. On ne peut être parfaitement heureux, il faut toujours payer son tribut. Pour ma part j'en sais quelque chose car j'ai des moments de tristesse profonde. Ça a l'air de marcher comme ça, mais l'avenir peut être gros de nuages."
Il a pu contempler cette vision de l’univers sur la voûte de l’église.


Un peu plus de dix ans plus tard, en 1905, Charles Bordes est passé brièvement en Creuse, à Guéret, pour une audition des Chanteurs de Saint Gervais. (Voir Bernard Molla, tome 1, chapitre V : Voyages de propagande, p. 216 et p.219.)
Mais la vraie communion avec la Creuse, c'est en 1892. 


Paul Poujaud dit que les notes prises en Creuse par Charles Bordes sont avec ses notes sur la musique du Pays Basque. En 1931, il ne sait pas où sont ces notes.
Où sont-elles aujourd’hui ?

 

 

[La couverture de Musica, avril 1903, montre César Franck à l'orgue de Ste Clotilde, d'après le tableau de Jeanne Rongier (1885). Voir dans ce blog le billet Franckistes… du 15 novembre 2012.]

 

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