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14 avril 2011 4 14 /04 /avril /2011 20:31

 

En 1883, Charles Bordes  (âgé de 20 ans…) a écrit une mélodie intitulée Avril sur un poème d'Aimé Mauduit. Il a montré cette mélodie à son nouvel ami Pierre de Bréville (qui évoque ses souvenirs personnels à Vouvray, pour l'inauguration du monument, le 17 juin 1923, cf Les Tablettes de la Schola, 22e année, n° 7, Juin 1923). On peut en déduire que c'était la première qu'il avait achevée, mais Bréville ajoute "Quelques jours plus tard il m'en montrait une autre…". Cette mélodie a été créée le 9 février 1884 à la salle Pleyel par Marthe Ruelle (soprano) ; elle est dédiée à la baronne de Chamorin.

Voici le texte du poème:

 

L'hiver a fui ; dans les allées

Les lilas sont en floraison :

Déjà brillent sous le gazon

Les marguerites étoilées :

Le pommier aux vents attiédis

Livre ses fleurs blanches et roses.

Mignonne, viens cueillir les roses

Le long des sentiers reverdis.

 

Au fond des nids Avril rassemble

Les chantres ailés des forêts :

La fauvette au cri pur et frais

Se suspend aux branches du tremble ;

La source, à travers les roseaux,

Soupire sa plainte chérie.

Mignonne, viens dans la prairie

Chanter au milieu des oiseaux.

 

Par les bois, pleins de douce ivresse,

Deux à deux errent des amants ;

Leurs rires joyeux, leurs serments

Parfument l'air qui nous caresse :

Au hasard, dans l'herbe mouillée,

Ils vont disant des mots confus.

Mignonne, viens sous la feuillée,

Viens dans les verts taillis touffus.

 

On ne sait pas grand chose sur ce poète et en particulier pas ses dates de naissance ni de mort. On ne sait pas non plus ce qu'il faisait dans la vie.

En raison du contenu de son premier recueil, je le fais naître entre 1840 et 1845.

Ses œuvres sont dans le catalogue de la BNF et donc on peut le situer :

1865, Les premières feuilles (aussi sur Gallica)

Paris : J. Tardieu

1866, Les deux Rome (ode)

Paris : J. Tardieu

1868, Stances amoureuses

Paris : Librairie générale des auteurs (Jouaust)

1876, 2e édition où les deux recueils (LPF et SA) sont réunis.

Clermont-Ferrand : imprimerie de Mont-Louis

En 1866 Aimé Mauduit a écrit une préface aux Vieux Noëls illustrés, chants réunis par l'Abbé Rastier, Maître de chapelle à la cathédrale de Tours, Paris : L. Hachette (ce livre est sur Gallica). Il y montre sa connaissance des paroisses de Tours. En tout cas, Charles Bordes savait qu'Aimé Mauduit était sensible à la musique. Et tourangeau peut-être. Son ode Les deux Rome, qui se trouve déjà dans Les premières feuilles, a été couronnée par la "Société des arts, sciences et belles-lettres d'Indre-et-Loire". Cependant, d'après les archives de l'état-civil, Aimé Mauduit n'est pas né, ni mort dans le département. On m'a signalé un Aimé Mauduit marié à Bossé-sur-Claise en 1886, je suis allé aux Archives départementales, ce n'est pas lui, cet Aimé Mauduit-là avait 25 ans en 1889 ; il n'a pas pu écrire des poèmes d'amour en 1865, ou alors il était vraiment très précoce. Il se peut aussi que ce soit un pseudonyme.

 

Dans son recueil Les Premières feuilles, un poème a attiré mon attention. Il s'agit du texte intitulé Moncontour, daté 1856. Ceux qui connaissent bien le château du XVe siècle à l'entrée de Vouvray auront du mal à le reconnaître. Dix ans plus tôt, en 1846, Balzac avait fait part à Madame Hanska de son rêve de l'acquérir. Dans La femme de trente ans (1831) il en avait fait l'évocation suivante :

"un de ces petits châteaux de Touraine, blancs, jolis, à tourelles sculptées, brodés comme une dentelle de Malines"

Même si cette image de la dentelle ne correspond pas à la réalité, les mots étant plus importants que tout, même chez un écrivain réaliste, on la retrouve chez Mauduit :

J'aime surtout ces citadelles,

Ces manoirs aux mille tourelles, 

Aux frontons brodés de dentelles

Comme un palais oriental ;

Cependant, le château d'Aimé Mauduit sent son Moyen Âge. Il y a des ruines et un donjon. Ce n'est pas le Moncontour tourangeau mais, probablement celui du Poitou, au nord du département de la Vienne, en Loudunais (nous ne sommes pas loin).

Cependant ces remparts, ces épaisses murailles,

Ces salles où jadis un joyeux troubadour

Chantait quelque fait d'arme ou quelque lai d'amour,

Ce donjon qui soutint tant de chocs de batailles,

Sous le souffle des ans devaient crouler un jour.

Mais dans une subtile pirouette, le poème Moncontour est dédié à la Duchesse de Massa qui vivait à cette époque-là (et jusqu'à sa mort en 1870) au Château de Moncontour… à Vouvray.

 

Il faut ajouter que le curé de Vouvray, celui qui a baptisé Charles Bordes, s'appelait Charles-Auguste Mauduit. Né en 1812 à Preuilly-sur-Claise, ordonné en 1835, il a été prêtre pendant 51 ans et 31 ans comme curé de Vouvray. Il est mort en 1886, et repose au cimetière de Vouvray (à 20 m environ du tombeau de la famille Bordes-Bonjean). Ce n'est sans doute qu'une coïncidence, mais Charles Bordes ne pouvait que songer à lui en écrivant sa mélodie Avril.

Le recueil Premières feuilles (1865) s'ouvre avec le texte Matinée d'Avril qui annonce le thème de la mélodie Avril, composée à partir du poème Vieil air, "imité de Ronsard" nous dit l'auteur. Le poème de Verlaine, Sur un vieil air, dont le titre rappelle le poème de Mauduit, est plus tardif (1874), comme la mélodie qu'il inspire (1895).

Pour sa mélodie, Charles Bordes choisit donc le titre Avril. Il n'utilise pas tout le poème, dont la fin (Mignonne, viens sous la feuillée) n'est pas assez chaste : les amants vont aller s'ébattre dans les verts taillis touffus. Mauduit savait bien que Ronsard était aussi le poète des Folastries.

J'ai aussi trouvé Aimé Mauduit mentionné dans la Monographie du sonnet publiée en 1868 par Louis de Veyrières (auteur des Chants d'un serviteur de la Vierge en 1856, ça ne s'invente pas…). Il écrit : "…et M. Aimé Mauduit a livré au vent ses Premières feuilles à Paris en 1863." Il se trompe sur la date mais on peut rectifier avec le catalogue de la BNF. Ce qui est important c'est que Aimé Mauduit a réellement existé. Il a publié deux recueils, et il avait des liens avec la Touraine. Nous ne sommes pas surpris que Charles Bordes l'ait choisi.

 

Comme l'a écrit François Le Roux, dans le programme des "Journées Charles Bordes" de novembre 2009, Aimé Mauduit est "obscur", mais il l'est moins, car nous pouvons lire sa poésie, ce qui est essentiel pour un poète.

 

Je voudrais remercier ici les nombreuses personnes qui m'ont aidé dans ce travail sur un auteur bien oublié. Les lecteurs apprécieront ce texte de Claude Perthuis (février 2010) qui se conclut par une biographie fictive, satisfaisante pour ceux qui souhaitent une information plus pipol (comme on dit) :

"Le niveau de tes recherches se situant dans les profondeurs abyssales de l'oubli, je crains fort, hélas, de ne pouvoir éclairer ta lanterne. Cet Aimé Mauduit (un bel oxymore sans le u, soit dit en passant) que tu t'évertues à ramener à la lumière, je ne le connais ni d'Eve ni d'Adam. La seule chose que je puisse faire, c'est de graver son nom sur mes tablettes afin de m'en souvenir le jour où, dans un déballage de vieux papiers, le hasard me mettra sous le nez un document quelconque le concernant.
Pour ce qui est d'Avril, il me semble que  ces pièces légères (comme la plume et non comme l'oiseau) sur le renouveau, composées dans le style ronsardisant, étaient dans l'air du temps, depuis que Sainte-Beuve avait remis au goût du jour les poètes de la Pléiade. Si je ne m'abuse, Nerval a traité le même sujet dans une odelette intitulée également Avril, en référence à un poème de Rémi Belleau. Par ailleurs, il a fait paraître un choix des poésies de Ronsard… etc, avec une introduction assez fournie.

Si ton investigation n'aboutit à rien, il ne te reste plus qu'à inventer de toutes pièces une bio de cet auteur, dans laquelle tu pourrais évoquer son enfance campagnarde, son goût précoce pour la poésie, son emploi de comptable à la perception de Tours (Les premières feuilles), sa folle passion pour Juliette Tournebise (Stances amoureuses), son voyage en Italie(Les deux Rome), son laudateur, ses détracteurs (notamment le critique Henri Danglemaure dont la phrase assassine fit le tour des salons parisiens : "Chez Aimé Mauduit on ne fait pas d'odelette sans casser le bon goût"). Le canular littéraire a sa tradition."

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