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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 22:53

Charles Bordes a publié seize mélodies sur les poèmes de Verlaine, et ils étaient contemporains. Lecteur de poésie, Charles Bordes a toujours choisi des auteurs vivants pour sa musique. L'exception c'est Baudelaire, mort en 1867, dont nous savons que Charles Bordes avait choisi un sonnet pour en faire une mélodie ; le manuscrit est cependant inconnu à ce jour (cf  lettre à Jules Chappée du 30 août 1884, citée par Bernard Molla, Tome III, p. 30 de sa thèse).

En ce qui concerne Verlaine, un document intéressant a été publié il y a quelques années. Dans son livre Verlaine  et les musiciens, (Paris : Minard, 1992), Ruth L. White publie une lettre inédite d'Alfred Ernst, chroniqueur musical pour la Revue contemporaine, du 12 avril 1892, adressée à Verlaine ; on y lit : "Mon ami Charles Bordes, Maître de chapelle de St Gervais, me charge de vous faire tenir le billet ci-contre, vous assurant le droit aux offices de la Semaine sainte en son église – offices où l'on exécutera de très belle musique ancienne (Josquin des Prés, Allegri, Palestrina, Vittoria, Corsi, etc…)" . Ruth L. White conclut : "on peut déduire avec quasi-certitude de la lettre précédente que Bordes et Verlaine se connaissaient."

A notre avis, c'est aller un peu vite. De tels billets étaient envoyés à des personnalités, ce qui était le cas de Paul Verlaine en 1892, célèbre, dominant le milieu littéraire français. Il sera fait Prince des Poètes en 1894 (et mourra en 1896). Certes Verlaine était croyant et pratiquant et il a pu se rendre à St Gervais pendant la Semaine sainte de 1892. Nous ne savons pas s'il y est allé. Nous ne savons pas s'il est allé parler avec Charles Bordes ou s'il est resté dans sa dévotion. Nous ne savons pas s'il a remercié Charles Bordes du billet qu'il avait reçu. Voilà beaucoup de si.

Tous deux sont croyants, et tourmentés. Charles Bordes depuis l'enfance et dans son travail de défense de la musique liturgique, consacré par le motu proprio papal, ce qui ne l'empêche pas de souffrir de l'étroitesse d'un certain clergé. Verlaine devenu pieux depuis la prison belge et qui lit les Pères de l'Eglise, mais prompt à faire "saigner les 98 plaies de N.S" comme l'écrit Rimbaud.

En "politique", tous deux partagent amour et admiration pour le Prince impérial, tué en Afrique en 1879, sous l'uniforme britannique. Les sentiments de Charles Bordes sont exprimés dans ses lettres à son ami Jules Chappée depuis Carlsruhe en mars-avril 1881 (citées dans la thèse de Bernard Molla, Tome III, pp. 33-44). Sur son piano, il a une photo du Prince, "notre bon Prince", il s'attache à des personnes qui l'ont connu, il le révère religieusement. Verlaine écrit dans Sagesse (1881) sur le "Prince mort en soldat…" et ajoute "à cause de la France", ce qui est étrange. On peut y voir une plus grande perspicacité politique chez le poète : Verlaine pense que le jeune prétendant recherchait la gloire militaire, même sous l'uniforme anglais, pour se rendre digne de régner en France.

La communion artistique, de la part de Charles Bordes, était complète. Il a été le premier (avec Debussy) à écrire des mélodies sur la poésie de Verlaine, dans les années 1880. Et en 1903 il écrivait son avant-dernière mélodie, si prenante "Ô mes morts tellement nombreux…" Entre les deux hommes, la rencontre physique et surtout l'échange intellectuel qui aurait pu suivre restent du domaine de l'hypothèse. Bien des points les réunissent sur le plan humain et spirituel. Cette foi religieuse, qui peut être portée douloureusement, et ce besoin d'aller de l'avant, ce "Marche encore !" que nous lisons, que nous entendons dans La bonne chanson

 


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