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21 juin 2013 5 21 /06 /juin /2013 20:32

Encore une commémoration, la dernière peut-être : les 90 ans de l'inauguration du Monument de Vouvray.

Monument---Tourainissime.jpg

Le 17 juin 1923, il était officiellement présenté au public.

Le programme nous donne le détail des cérémonies. La veille, le samedi 16, dès le matin, 26 rue Emile Zola à Tours, les Chanteurs de St Gervais, sous la direction de leur chef, Léon de Saint-Réquier, avaient donné un concert.

Parmi les œuvres "modernes", les Chanteurs de St Gervais terminèrent par deux mélodies de Debussy sur des poèmes de Charles d'Orléans : Dieu qu'il la fait bon regarder (ici dans l'interprétation de la Bay Choral Guild à Palo Alto), et Yver, vous n'estes qu'un vilain (ici par le Stockholm Chamber Choir).

Suivit une conférence sur Charles Bordes par Horace Hennion, Président de la Société littéraire et artistique de Touraine. Le programme en donne les grandes lignes : "La Famille de Charles Bordes. – Sa naissance à Vouvray (12 Mai 1863) ; son enfance. – Ses études avec César Franck. – Sa mission au pays Basque. – Charles Bordes, fondateur et directeur des Chanteurs de Saint-Gervais et de la Schola Cantorum. – La Musique Religieuse : les Maîtres primitifs des XIVe , XVe et XVIe siècles ; sa décadence. – Les anthologies et reconstitutions scéniques de Ch. Bordes. – Sa retraite à Montpellier. – Sa mort à Toulon (8 Novembre 1909). – Son inhumation à Vouvray (19 Janvier 1910)."

 

Le dimanche 17 juin, il y avait d'abord une messe à St Martin de Tours. C'est la Schola Cantorum Saint Odon de Tours qui  chantait. Elle terminait par l'Alleluia du Messie de Haendel. (On se souviendra que l'exécution de cette œuvre dans une église avait créé des remous et que la Tribune de Saint Gervais avait condamné ce mélange liturgie/musique. Les choses avaient changé depuis ¼ de siècle.)

Le dimanche après-midi, après un "pèlerinage" sur la tombe de Charles Bordes, le Monument était inauguré, à 5 heures et demie, en présence du Maire de Vouvray, Charles Vavasseur et du sculpteur, Médéric Bruno.

Le poème de Louis Chollet A Charles Bordes était ensuite dit, puis la Cantate "Invocation à Bordes" de Fernand Jouteux, compositeur tourangeau qui avait jadis (en 1899) écrit une œuvre sur un poème d'Horace Hennion à la gloire de Balzac.

Michel d'Argœuves, Secrétaire de la Schola Cantorum écrit (sévèrement) dans les Tablettes de la Schola (22e année, n°7, juin 1923) : "Après l'exécution d'une cantate assez médiocre, écrite pour la circonstance par un compositeur dont je n'ai pas retenu le nom, plusieurs discours…"

Parmi les discours qui suivirent, dont celui du Maire, on retiendra celui de Pierre de Bréville dont il sera question plus loin. Un Salut était chanté en l'église de Vouvray par le chœur de la Schola Cantorum Saint Odon. Il se terminait par le Nunc dimittis (paraphrase du Cantique de Syméon : Maintenant, tu peux laisser ton serviteur s'en aller en paix, texte de l'Abbé Henri Hello), dernière œuvre religieuse de Charles Bordes.

 

Pierre de Bréville fit un précieux discours retraçant la carrière de Charles Bordes. On le trouve dans les Tablettes de la Schola citées plus haut (pp. 108-112). On imagine la note de mélancolie : Charles Bordes était né en 1863, Pierre de Bréville en 1861. Ils avaient étudié ensemble au Conservatoire et sous César Franck. Bréville continuait son chemin dans la musique (il mourra en 1949). En 1914 et en 1921 il avait revu et publié les mélodies de Charles Bordes et ces deux livres (moyennant quelques ajouts) font autorité.

C'est dans ce discours qu'il parle d'Avril, la première mélodie du "petit Bordes", qui lui fut montrée en 1883. Il note que Charles Bordes "ne cessait de composer" et ajoute : "Il n'oublia pas – tout en sacrifiant un peu avec une admirable abnégation celui qu'il aurait pu être – que lui aussi était musicien." Plus loin il dit : "…son œuvre musicale est… forcément, au point de vue du nombre, peu considérable. Mais elle est de qualité rare par le sentiment personnel de sensibilité, de clarté et de fraîcheur qui s'y manifeste." Il parle des mélodies et du fait que Charles Bordes est le premier "qui adopta, et peut-être mieux que beaucoup d'autres comprit, Verlaine". Au passage il cite, comme liés à Charles Bordes, des vers célèbres de ce poète, en particulier "les fruits, les fleurs, les feuilles et les branches". C'est Green, la fameuse "mélodie introuvable". (Bréville ne l'a pas mise dans les recueils de 1914 et de 1921. Quelqu'un finira bien par la trouver.) Cette allusion, dans le discours du 17 juin 1923 est surprenante.

D'autres passages du discours  renvoient une image conventionnelle de Charles Bordes qui ne correspond pas nécessairement à la réalité. Bordes est qualifié d'improvisateur plein de fougue, par exemple en déplaçant la Schola de la rue Stanislas à la rue St Jacques. En réalité ce déplacement était une nécessité et tout le monde y pensait. Contrairement à la légende, l'avis des sages amis (expression utilisée par Bréville) était pris et comptait.

Les préjugés de Bréville, de culture et de classe, apparaissent aussi, quand il parle de la terre française ou de Verlaine : "…ce poète si français qu'il semble impossible de lui supposer une autre origine, une autre race que la nôtre."

 

Le programme de cette inauguration est particulièrement intéressant pour les illustrations qu'il contient, toutes en noir et blanc.

Il débute par un tableau d'Elisabeth Sonrel. Nous en avons retrouvé une version sur une carte postale (la localisation actuelle du tableau reste inconnue).

Concert mystique, Elisabeth Sonrel

C'est le "Concert mystique", exposé au Salon de 1913.  Elisabeth Sonrel, peintre académique, marquée par le symbolisme, était une artiste tourangelle. La présence de ce tableau pour commencer le programme a donc un sens. Nous avons voulu garder l'expression dans le titre du billet. Elle a peint de nombreux tableaux, représentant des êtres purs, des musiciens, des anges, illustré des livres comme ce missel chez Mame en 1908. Le "Concert mystique" est conforme au sens que l'on a voulu donner à cet hommage à Charles Bordes. Comme Maître de chapelle, chef de chœur des Chanteurs de Saint Gervais et créateur de la Schola Cantorum (rattachée à l'Institut catholique de Paris), il a servi l'Eglise et le Motu Proprio du Pape Pie X (le pape musicien) le montre bien (22 novembre 1903).

Si on considère l'architecture même du Monument de Vouvray, on verra qu'il est bâti comme un contrefort qui soutient l'église.

Cependant, le mot qui vient en premier sur le Monument et qu'on retrouve sur la tombe, est celui de compositeur. Charles Bordes est un musicien et c'est ainsi qu'il doit être considéré, sans réductionnisme.

Charles Bordes aurait aimé cette image du "Concert mystique". François-Paul Alibert dans Charles Bordes à Maguelonne (1926) nous dit qu'au Mas Sant Genès on voyait "une profusion […] d'anges chanteurs." Nous en avons parlé ici, à propos des chanteurs de della Robbia à Florence.

 

Notre regard est arrêté par plusieurs photos où on voit Charles Bordes. Il y a bien sûr les trois fondateurs de la Schola Cantorum sur les marches de la rue St Jacques. (Cette photo date de l'automne 1900 et non de 1894 comme dit le programme.)

On voit le portrait de Charles Bordes studieux, photographié par Paul Bacard en 1904 (probablement) et surtout deux portraits par Pierre Petit de 1892 et de 1901.  Pierre Petit photographiait les artistes (donc les musiciens) et aussi les ecclésiastiques. Cela convenait parfaitement. Nous ne connaissions pas ces portraits.

Mais d'abord voici le portrait sculpté qui figure sur le Monument, sur le "contrefort",

portrait, CB sur le Monument, BC, 8845.

précisément. Vous le voyez en noir et blanc pour mieux le comparer avec les photos. C'est un notable. Il ne convient pas du tout. Charles Bordes n'était pas ainsi. C'est la seule fausse note du Monument.

En revanche voici la photo de 1892

portrait, 1892, Pierre Petit 

où on reconnait bien l'optimisme, l'ardeur du chef de chœur (voyez-le en action en cliquant ici : c'est bien lui).

Enfin, cette photo de 1901

portrait, 1901, Pierre Petit

où Charles Bordes, alors âgé de 38 ans, amaigri, sévère presque, montre une gravité qui ne le quittera plus.

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