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30 juin 2011 4 30 /06 /juin /2011 23:07

 

La dernière mélodie écrite par Charles Bordes, en juin 1908, c'est Paysage majeur, titre d'un poème de Louis Payen. Nous ne sommes pas surpris d'y lire l'éloge d'un soleil fort qui apporte la vie et l'énergie à ceux qui en ont besoin.

Mais je m'offre au soleil ardent car j'ai voulu

Qu'un lumineux baiser descendit dans mes veines.

Charles Bordes, malade, vivait à Montpellier depuis novembre 1905 au Mas Sant Genès, et il y trouvait cette chaleur dont son corps avait besoin. Pour Charles Bordes, jeune encore, mais arrivé presque au terme de sa vie, c'est la recherche de la transfusion impossible de

sa force de l'Été

que cette mélodie exprime.

On la trouve dans le recueil Dix-neuf œuvres vocales (éditées par Pierre de Bréville, Paris : Rouart, Lerolle & Cie, 1914). Elle est dédiée à la soprano Emma Calvé.

 

L'écrivain Louis Payen, de son vrai nom Albert Liénard, est bien oublié aujourd'hui. Il est né à Alès en 1875. Il collabore à diverses revues, comme La coupe de Montpellier, entre 1895 et 1898, où il prend son nom d'écrivain, et à Paris Messidor, La revue dorée, le Mercure de France ou L'Ermitage. Déjà dans La coupe, on peut lire des textes de lui, notamment des sonnets, et aussi de Maeterlinck, Rodenbach, Gide ou Viélé-Griffin, et de Francis Jammes et Camille Mauclair, ce qui nous rapproche de Charles Bordes.  La mort de Verlaine, en 1896, a été longuement lamentée par la revue.

On lui doit (liste non exhaustive) des poèmes : A l'ombre du portique (1900), Persée (1901), Les voiles blanches (1905), Le collier des heures (1913), La coupe d'ombre (1925); des romans : La souillure (1905), L'autre femme (1907) ; du théâtre : L'amour vole (1904), La tentation de l'Abbé Jean (1907), Les amants de Ferrare (1922), La Princesse d'amour (1923), L'Imperia (1928). Il écrit plusieurs drames lyriques pour Henry Février, Camille Boucoiran ou surtout Massenet, comme Cléopâtre en 1914 avec ce dernier, en collaboration avec Henri Cain. Il est connu comme librettiste. Dans les années 20, il est secrétaire général de la Comédie française où il organise des matinées littéraires et fait dire de la poésie. Il meurt à Epinay en 1927.

 

L'incertitude existentielle, exprimée par la fin de Paysage majeur :

Et j'élève mon coeur, ce coeur irrésolu
Qu'attriste son bonheur et que charme sa peine,

le poète l'exprime de façon sensuelle dans le poème Jeux de lumière (paru dans Les voiles blanches en 1905) :

…et mon âme

Comme les feuilles d'or joue avec la clarté.

On retrouve ces thèmes quelques années plus tard dans le poème Conseil (paru dans Le collier des heures en 1913) :

Le jour est devant moi comme un gâteau de miel ;

un flot de clarté rousse et blonde, au bord du ciel,

ainsi qu'une liqueur de son urne trop pleine

coule glisse et s'étend au-dessus de la plaine. 

Et la même incertitude apparaît, avec cette fois la passivité de ce que les épicuriens appelent le plaisir en repos :

O mon âme, que feras-tu de la journée ?

Sauras-tu savourer l'heure qui t'est donnée,

longuement, simplement, sans désirs, sans ennui,

comme un parfum de fleur, comme la chair d'un fruit ?

Cette hésitation peut être surmontée comme dans ce poème La vie est devant moi, publié dans le numéro d'octobre 1903 de la revue L'Ermitage :

La vie est devant moi comme un jardin ouvert,

avec ses fleurs, avec ses fruits, ses parfums lourds,

ses bassins lumineux où frémit un flot vert,

ses nuages furtifs dont l'indécis contour  

érige dans l'azur la nacelle des rêves,

avec ses frais taillis où s'assied l'ombre brêve

C'est un carpe diem pour ce début du 20e siècle :

Je veux mordre tes fruits, vie ardente et légère ;

que leurs sucs bienfaisants nourissent mes plaisirs !

Stuart Merrill écrit dans La Plume (n° 284, 15 février 1901, p. 102), soulignant au passage ce choix d'un nom d'écrivain :

"Une âme passionnée sensible et païenne s'y débat contre ce que les aïeux lui ont légué de religieux, de mystique et de contraint. Voici vraiment souffrir et se plaindre un poète."

Il faut certes distinguer le poète et le musicien. Sans aller jusqu'à le qualifier de paganiste, on voit bien que Charles Bordes doit aussi être perçu de façon différente.  C'est ce poème qui lui a apporté sa dernière inspiration.

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