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21 août 2011 7 21 /08 /août /2011 09:12

 

Les poèmes de Maurice Bouchor (1855-1929) ont inspiré plusieurs musiciens. Parmi eux Mélanie Bonis, Charles Bordes, Pierre de Bréville, Isaac de Camondo, Ernest Chausson, Claude Debussy ou André Gedalge. Chausson a souvent été le premier, mais pour Le temps des lilas… il a été précédé par Charles Bordes qui a écrit sa mélodie en 1883. Les mélodies écrites par Pierre de Bréville datent de la même année. Il est évident qu'il lisait les mêmes poètes que son ami.

Voici comment, en 1880, le dessinateur Georges Rochegrosse voyait Maurice Bouchor :

Portrait--1880--Georges-Rochegrosse.JPG


 On lira en cliquant ici la notice du site de Gilles Picq, brève et claire. La bibliographie est utile. On regrettera une conclusion malheureuse, rédimée quand même par le mot "injustice" :"Son œuvre poétique a certainement souffert d'avoir longtemps servi de catéchisme à l'école laïque et obligatoire, si bien que ce poète à dictées et à récitations fleure encore aujourd'hui le désuet. C'est là une injustice, car, à la lecture, nombre de poèmes de Bouchor résistent aux morsures du temps."

Cet auteur est trop souvent traité avec condescendance, même par ceux qui veulent le défendre. Cette attitude est suspecte. C'est grâce à l'école publique que son nom a franchi les générations et est parvenu jusqu'à nous.

Ce billet va essayer de présenter rapidement son œuvre, buts et facettes, avant de parler un peu plus des quatre mélodies écrites par Charles Bordes.

Son oeuvre propre a pu souffrir de son activité pédagogique, tout comme celle de Charles Bordes qui a aussi sacrifié à la pédagogie son œuvre personnelle. Il a accepté cette situation, écrivant : "C'est avec l'allégresse la plus vive, et sans être affligé d'inutiles regrets en pensant à d'autres projets abandonnés, que j'entrepris ces divers travaux…" (Chants populaires pour les écoles. Troisième série. Livre du maître. 1909, p.3). Il exprime avec vigueur son sentiment de responsabilité : "Dans l'école, à travers l'école, n'aimons-nous pas, nous tous, le peuple qui nous y donne ses enfants, appelés bientôt, trop tôt, à la dure vie du travailleur, ouvrier ou paysan ?" (id., p.3)

En ce qui concerne le fonds religieux de l'œuvre de Maurice Bouchor, tout en respectant "la foi spirituelle" et "la foi confessionnelle", il conclut "…je dis que l'on peut se passer de l'une comme de l'autre et trouver de suffisantes raisons, qui sont peut-être les plus nobles, de vivre et de bien agir, en même temps qu'un réconfort puissant et l'enthousiasme nécessaire aux plus difficiles transformations sociales, dans la simple conscience de son devoir, dans l'amour des hommes et dans quelque haute espérance, moins éloignée et plus concevable que celles dont les religions font le viatique de leurs fidèles." (id. p.15) Pour les 25 ans des ENS de Fontenay et de St Cloud, en juin 1906, il lit un poème qui déclare :

Mais nous avons compris qu'en face du mystère

Le plus loyal et le plus sage est de nous taire ;

      Que l'atténuer serait vain ;

Que nulle foi devant la raison ne s'impose,

Et que nous ne pouvons enseigner autre chose

      Que le relatif et l'humain.

Enfin, il est important de souligner cette profession de foi républicaine : "Il est impossible de concevoir l'école publique, dans la France actuelle, sans préférence pour le régime républicain…" (id. p.12).

Maurice Bouchor sillonne la France, les écoles normales et les écoles de village, pour faire chanter les enfants : "…je fis mon tour de France, méthodique et complet, pour le recommencer ensuite en zigzag, allant d'abord partout où l'on m'appelait, puis, quand cela devint impossible, où j'avais le temps d'aller…" (id.,p.2). Avec la collaboration de Julien Tiersot qui collecte et harmonise, il publie trois recueils de Chants populaires pour les écoles, en 1895, en 1902 et en 1907 ; il y a là une centaine de chants traditionnels, souvent avec des paroles qu'il compose lui-même. On est frappé par le parallélisme avec l'action de Charles Bordes à la Schola Cantorum, sur un tout autre versant de la société française, mais avec le même amour de la musique.

Il met son œuvre et son talent au service de l'école et des Universités populaires. Il écrit moins de poésie, mais ses publications sont nombreuses, essais, théâtre, contes. Ses pièces de théâtre, des Mystères (La Légende de sainte Cécile, La Dévotion à saint André) à La tempête de Shakespeare (qu'il traduit) sont jouées par des marionnettes,

Bouchor-par-Evert-van-Mudyen.jpg

au Petit Théâtre des Marionnettes dans les années 1880-90, puis là où on les demandait. Pour la fête des Rois de 1906, à Montpellier, Charles Bordes dirige une pastorale en quatre tableaux de Paul Vidal, texte de Maurice Bouchor. Les marionnettes sont sculptées par Raymond Dussol qui avait décoré la Schola Cantorum de la place Saint Ravy. (Informations trouvées  dans la thèse de Bernard Molla sur Charles Bordes, Tome I, p. 277.) Le spectacle s'adressait aux enfants ; c'était à 21 h, mais un mercredi, et le jeudi était à l'époque un jour de repos.

Les contes de Maurice Bouchor ont été utilisés dans de nombreux manuels scolaires. L'expérience montre que l'on peut toujours les raconter aujourd'hui. Vous en lirez des spécimens en cliquant ici ou . Les héros sont des gens simples.  Ils ont le bon sens et l'intuition qui leur permettent de vaincre les obstacles.

 

 

Les mélodies écrites par Charles Bordes décrivent le cheminement de l'amour du bonheur au malheur, puis le lieu de la victoire, la réponse, dans le Madrigal à la musique. Elles sont au nombre de quatre.

 

Sous le titre Chanson, mélodie écrite en 1883 qui provient du livre Les Poëmes de l’Amour et de la Mer,  Charpentier, Paris, 1876 (Maurice Bouchor avait 21 ans ; la mélodie est publiée en 1921 par Pierre de Bréville), nous avons une description de l'amour comme un voyage :

Nous sommes partis au matin

au milieu de la nature :

Fleurs, coquettes fleurs des blés,

Paraient ses cheveux dénoués.

C'est un univers merveilleux :

Nous allions vers les pays bleus

Pour cueillir les lys fabuleux

où la réalité est transposée ; le thym coexiste avec le jasmin, le rossignol avec le merle, le sous-bois est silencieux et sonore à la fois. Comme dans la troisième strophe du poème d'Aimé Mauduit, les fourrés sont propices à la sensualité :

       sous-bois nous avons trouvé

Plus de chansons que de pinsons,

Plus de baisers que de chansons. 

Peu importent les contradictions : le poème, la mélodie, disent la joie pure.

 

Le bonheur continue apparemment dans L'hiver (dans le même recueil ; on trouve la mélodie dans le recueil établi en 1914 par Pierre de Bréville). Pas besoin de fleurs, leur langage est inutile. Nous sommes dans le cycle des saisons :

L'automne est passé, l'hiver est venu (…)

Doux ciel de l'hiver, ô pâle ciel bleu,

Que je t'aime ! 

Et le moment est favorable comme le dit la fin du poème :

Tout illuminé d'un rayon de joie !

Il y a cependant  une sourde inquiétude : "nos mélancolies", "nos cœurs frileux" et ce temps suspendu avec le refus de penser à l'avenir :

S'il pleut sur la mer et s'il grêle, eh bien,

Nous nous enfermons, nous n'en savons rien,

Et nous n'osons pas regarder les voiles.

Certes "nous nous aimons mieux…" mais le bonheur est temporaire comme "la lueur du feu".

 

On trouvera le texte de la troisième mélodie, Amour évanoui (recueil de 1921), ailleurs dans ce blog où l'aspect people du poème est raconté. Nous n'y reviendrons pas ici. Comme écrivait Rutebeuf, "L'amour est morte". Le malheur explose :

Le vent a changé, les cieux sont moroses

Les fleurs, souvent utilisées pour dire qu'il faut aimer, disent maintenant le contraire. Les ronsardises à la Mauduit sont finies ; il y a un subtil retournement du carpe diem :

Le temps du lilas et le temps des roses

Avec notre amour est mort à jamais.

 

Le Madrigal à la musique, (écrit en juin 1895) est la traduction  du texte, probablement de Shakespeare  (peut-être de John Fletcher), cité dans Henry VIII (acte III, scène 1), Maurice Bouchor publie Les Chansons de Shakespeare, mises en vers français, chez L. Chailley, en 1896. Charles Bordes écrit la mélodie en juin 1895. On peut la trouver dans le recueil de 1914. C'est un chœur à quatre voix, la seule mélodie dans ce cas.

Ici, c'est le plus grand bonheur avec le triomphe de la musique. Pour Bouchor comme pour Bordes, en ce moment de maturité, cela a beaucoup de sens (pour ce blog aussi, et c'est avec le Madrigal à la musique que nous l'avons ouvert, le 3 février). Le mythe d'Orphée "la voix que la lumière fit entendre" (Apollinaire, Bestiaire, 1911) est inséparable des grandes œuvres du répertoire musical. Alibert nous dit combien Charles Bordes était familier avec Monteverde (c'est ainsi qu'il disait). Souvent, ce sont les animaux qui sont subjugués ( et plus généralement, comme on dit en anglais, "Music soothes the savage breast"). Ici, Orphée charme les plantes et la nature, en particulier la mer :

              …et la vague marine,

Vaincue, à ses pieds déferlait.

Les résonnances sont multiples, chez Bouchor d'abord, qui avait traduit La Tempête de Shakespeare (publiée en 1888) : Prospero, par son art, suscite la furie des vagues et en fait naître un bien, distinguant, grâce à cette tempête, les méchants et les bons. Chez Bordes aussi, puisque dans son opéra inachevé, Les trois vagues, selon le mythe basque, la vague de lait, puis la vague de larmes enfin la vague de sang sont vaincues :

                                 Et ta puissance est telle

Que la peine du cœur, oui, la peine mortelle

Meurt ou s'endort lorsqu'il te plaît.

 

Maurice Bouchor écrivait en 1885 :

Oh ! puissé-je trouver de limpides paroles !

Je me tairai longtemps, trop heureux si j'écris

Un livre simple et vrai, sans rêves ni symboles,

Et qui soit accessible aux plus humbles esprits…

Les poèmes choisis par Charles Bordes pour ses mélodies sont riches en "rêves" et "symboles"; ce sont cependant, ce billet a essayé de le montrer,  "de limpides paroles".

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