3 avril 2013
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C'est autour de l'église Saint Gervais que la stature de Charles Bordes est formée. C'est par là qu'il est traditionnellement le plus connu.
Il faut bien voir qu'il y a trois choses différentes : l'église Saint Gervais-Saint Protais dont il est Maître de chapelle, les Chanteurs de Saint Gervais, ensemble créé par lui, qui chante dans l'église du même nom, mais ne dépend pas d'elle, et enfin la revue La Tribune de Saint Gervais qui par la suite prolongera l'action de Charles Bordes, notamment dans le cadre de la Schola Cantorum.
C'est de l'église, appelée souvent "l'église des Couperin" dont nous parlerons surtout ici, dans ce billet qui évoque une autre face du "Paris de Charles Bordes".
La thèse de Bernard Molla décrit abondamment l'action liturgique de Charles Bordes et on lira avec intérêt les pages qui y sont consacrées (Thèse, Tome I, p. 17 et suivantes).
Aidé par le curé de Nogent-sur-Marne, l'Abbé Ferdinand, Charles Bordes fut présenté au Chanoine de Bussy, curé de Saint Gervais, qui le fit nommer Maître de chapelle en mars 1890. René de Castéra, dans Dix années d'action musicale (Tribune de Saint Gervais, mars 1900, p. 77), décrit la communion entre le musicien et le bâtiment : "Sa première visite, avant de faire sa demande, fut pour l'église, et nous lui avons entendu raconter bien souvent combien il fut saisi par la hardiesse de la nef entrevue derrière l'autel par une journée basse et pluvieuse de mars qui laissait errer sous la voûte des vapeurs violettes. "Quel beau vaisseau pour faire de la musique !" s'écria-t-il ; dès lors
la vieille âme de la pierre avait parlé à l'âme de l'artiste, et de leur communion devaient sortir un jour des flots d'harmonie." (Ce passage est également cité par Bernard Molla, Thèse, Tome I, p. 17.)
L'orgue vénérable et sa tribune
s'imposent aussi au regard du musicien. Plusieurs fois restauré, il le sera en 1909, par la maison Merklin, après l'avis d'Alexandre Guilmant.
Charles Bordes quitta cet emploi, expulsé en quelque sorte, en mai 1902. Il y a donc été Maître de chapelle pendant 12 ans. Le goût du public et le climat musical reflété par les fabriques des églises, allait vers une musique plus facile et plus mondaine. Alexandre Guilmant, à la Trinité depuis 1871, perdit à la même époque son siège d'organiste pour avoir joué des œuvres jugées trop sévères.
Revenons à l'extérieur. Venant par la rue François Miron, l'église apparaît à gauche.
On voit aussi les marches au pied de la maison des Couperin. D'autres personnages illustres y eurent un appartement et Ledru Rollin y naquit en 1825.
Sur la place, devant l'église, il y a le fameux orme, ici sur une gravure ancienne.
C'était un lieu traditionnel de Paris. Des hommes y attendaient qu'on loue leurs services, c'est là que l'on payait des loyers, des dettes ; quelquefois on se défilait, d'où l'expression par antiphrase passée dans la langue : "Attends-moi sous l'orme." pour dire que l'on ne paiera pas.
L'orme d'aujourd'hui (qui date quand même, malgré la maladie, de 1935) porte une notice qui rappelle ce passé.
En se retournant on voit la façade baroque de l'église Saint Gervais.
A l'intérieur, une plaque, dans une chapelle de gauche, évoque la présence et l'action de Charles Bordes.
Dès juin 1890, Charles Bordes a voulu marquer la fête de Saint Gervais et Saint Protais (le 19) par la Messe à trois voix (en la majeur) de Franck avec César Franck lui-même à l'orgue. Le disciple rendait ainsi hommage à son maître.
Le groupe choral "Les Chanteurs de Saint Gervais" a été rapidemennt constitué, formé de professionnels et d'amateurs (cf Bernard Molla, Thèse, Tome I, p. 28 et suivantes).
La photo, qui montre Charles Bordes dirigeant ses chanteurs dans l'église Saint Gervais, est empruntée à la thèse de Bernard Molla, Tome I, p. 22. Les chœurs étaient disposés dans les chapelles ou dans les tribunes du transept. Ils étaient invisibles aux fidèles. L'un était dirigé par Charles Bordes, l'autre par Julien Tiersot.
La Messe posthume (en ut mineur, opus 147) de Schumann sera donnée le 8 février 1891 (en cliquant ici, écoutez-en le kyrie chanté par le Kölner Kammerchor) et deux mois plus tard (26 mars 1891) le Stabat Mater de Palestrina et le Miserere d'Allegri. On trouvera dans la thèse de Bernard Molla les affiches de ces concerts reproduites, comme (p. 21) celle que nous donnons ici.
En cliquant ici, vous entendrez le Stabat Mater de Palestrina chanté en octobre 2011 par le Taverner Consort et en cliquant là, le Miserere d'Allegri chanté en février 2012 par l'ensemble A Sei Voci.
Saint Gervais marque un ancrage parisien important pour Charles Bordes. Comme on sait, c'était un grand voyageur, souvent en chemin de fer. Avec les Chanteurs de Saint Gervais, paradoxalement, il a parcouru toute la France. Voyez, dans la thèse de Bernard Molla (Tome I, chapitre 5, pp. 177-219) la liste de ces voyages de propagande et cette extraordinaire carte de France des villes visitées. Charles Bordes parle des villes "évangélisées", mais il s'agit – les lecteurs de ce blog l'auront compris – de musique avant tout.