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23 août 2011 2 23 /08 /août /2011 17:11

La-Bellangerie--4535.JPG

Les lecteurs de la Nouvelle République ont vu, jeudi dernier, l'article "Charles Bordes et la Bellangerie" dans la série "un homme, un lieu", toujours intéressante. Son nom avait déjà été cité par la NR dans un article sur Chabrier dans la même rubrique. Les faits principaux sont donnés avec justesse. Un seul bémol : l'auteur de l'article doit s'arracher les cheveux en lisant que la Schola a fait revivre "la musique palestinienne". Mais nos lecteurs (peut-être ceux de la Nounou…) auront rectifié : on parlait de Palestrina et de musique palestrinienne. Une seule lettre peut tout changer !

Le portrait imprimé dans la NR, c'est celui que nous vous avions présenté ici

en commençant le blog, au mois de février. L'article parle comme il convient, de l'Académie Francis Poulenc qui se déroule à Tours en ce moment, et donne une place à Charles Bordes le Tourangeau.

Le tombeau Bonjean-Bordes au cimetière de Vouvray  montre bien l'attachement fort de la famille avec le domaine de la Bellangerie.

Le grand-père maternel de Charles Bordes, Jean Lambert Bonjean,

tombe--gd-pere-mat--2806-JPG

était un "ancien manufacturier", mais surtout un "propriétaire agriculteur", mort "en sa terre de la Bellangerie" en novembre 1851 (12 ans avant la naissance de Charles Bordes).

Parmi ses prédécesseurs au Château de la Bellangerie, il y avait eu Beaumarchais, autour des années 1770, et plus tard, depuis novembre 1811, Pierre-Hippolyte Le Tissier, Maire de Vouvray sous la Restauration, du 14 décembre 1821 au 1er août 1821 (puis député d'Indre-et-Loire depuis novembre 1820 jusqu'en juillet 1830). Sa femme, Bénigne-Esther-Marie Guizol (1786-1859) était amie de Lamartine  (voisin à Paris) mais désapprouvait son évolution politique. On dirait aujourd'hui qu'elle le trouvait trop à gauche, préférant le drapeau bleu-blanc-rouge au drapeau blanc semé de fleurs de lys des légitimistes. On trouvera ces informations sur Madame Le Tissier en lisant l'article passionnant de Fernand Letessier (ne pas confondre) écrit en 1981 dans les Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest.

Balzac fréquentait la Caillerie, 500 m plus bas, chez M. de Savary. Il y a même effectué son seul séjour attesté à Vouvray, 3 semaines pendant l'été 1823. Mais il s'évertuait à écrire de la poésie, pour quoi il n'était pas fait, et rêvait à Mme de Berny qui avait vingt ans de plus que lui. Plus tard, il séjournera avec elle à la Grenadière à Saint-Cyr-sur-Loire. En 1823, il ne montrait aucun intérêt pour Esther-Athénaïs-Fortunée Le Tissier, âgée de 14 ans, qui poursuivait sa rêverie romantique dans les nuages au-dessus de la Bellangerie. Plus tard encore, Balzac écrira L'Illustre Gaudissart (1833), qui se passe dans le haut de la Vallée Coquette. Voyez le relevé pour la carte d'Etat Major, passé à l'aquarelle, qui montre le secteur vers 1860 (source, le Géoportail de l'IGN, sur Internet) :

La-Bellangerie--carte-EM--bb-.JPG

La Bellangerie n'existe plus. Dans son livre Deux cents châteaux et gentilhommières d'Indre-et-Loire, le Baron Karl Reille l'a dessinée comme elle était encore en 1930.

La-Bellangerie-en-1930--avec-texte.JPG

Le bail de ferme du 2 octobre 1823, signé par M. Le Tissier, nous apprend l'existence d'une glacière dont l'usage est expressément réservé aux habitants du château, "les preneurs fourniront pendant le cours de ce bail la paille nécessaire pour entretenir la couverture de la glacière." Cette glacière est sans doute aujourd'hui comblée, mais pourra réserver des surprises aux archéologues du futur.

Très pieuse, la mère de Charles Bordes, Marie Bonjean, allait selon la tradition dans une chapelle troglodytique à la Roche, au Nord-Ouest, sur la commune de Rochecorbon. Une chapelle se trouvait bien dans le château, transformée en bergerie après les Bordes. Denis Jeanson dans son livre Sites et monuments du Val de Loire, tome 1 (1977) le signale et aussi l'existence d'une cloche avec inscription du 17e siècle. Sa localisation actuelle reste inconnue.

Le père de Charles Bordes, Frédéric Bordes, était maire de Vouvray sous le Second Empire. Comme maire, il était informé de la progression du phylloxéra en France, le Val de Loire n'était pas encore atteint et donc sa propriété était indemne. On peut imaginer son inquiétude. Il est mort en 1875. Le Vouvrillon a été touché ensuite. Quand Madame Bordes a vendu la Bellangerie en 1879, sa valeur avait beaucoup diminué. Une des conséquences des difficultés financières de la famille fut le temps que passa Charles Bordes comme comptable à la Caisse des Dépôts et Consignations. Dans une lettre (transcrite par Bernard Molla) écrite vers 1884 à son ami Jules Chappée il parle de "cette rosse de caisse où je gagne 50 fr par mois, enfin c'est toujours 50 fr." Il ajoute "…Je n'ai pour toute sublimité que le bureau dans lequel je suis accroupi de 10 heures à 4 heures à la caisse de dépôt et réception, 1er bureau vieillesse, et la divine musique passe après."

Depuis 1964, l'ADAPEI est propriétaire du site. Il y a quelques années, une activité pour les handicapés avait pour nom "Bel ange rit" ; la musique en était la base, dans ce lieu où Charles Bordes, musicien, est né. Denis Jeanson, cité plus haut, est très sévère pour l'évolution du château : "Le nom de bergerie traduit fort bien la manière dont fut traitée la maison, tant par les fermiers qui en devinrent propriétaires après les Bordes que par l'Association des Papillons Blancs qui joue au jeu de massacre avec le tout au nom sacro-saint de la rentabilité et des crédits."  

De la Bellangerie ancienne, il reste les piliers de l'entrée,

IMG_2260.JPG

et la grille d'entrée  au Sud (sur la carte d'EM, sous le 1er a de "La Malourie").

IMG_2273.JPG

Des arbres indiquent toujours l'allée orientée Sud-Nord, qui menait de la grille au château, bien visible sur Google map :

La-Bellangerie--Google-map--23-juillet-2011.JPG

Dès le bas de la Vallée Coquette

IMG_2297.JPG

on est dirigé par des panneaux vers l'entrée officielle.

Pour voir la vieille grille, tant qu'elle est encore là, il faut aller à La Malourie. Cette grille a été dessinée en 1974 par Georges Pons dans le livre d'André Montoux, Vieux logis de Touraine (1ère série), chez C.L.D., où un chapitre parle de la Bellangerie. Le pavillon du gardien, situé à droite, est en train de s'écrouler. Seul le lierre l'empêche de tomber. Il est évoqué à la fin du roman Transports, paru en 2002.

La Bellangerie, 3093

La photo a été utilisée sur la couverture du livre Les mots sous la musique, Charles Bordes et ses poètes, produit par la Bibliothèque Municipale de Vouvray.

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21 août 2011 7 21 /08 /août /2011 09:12

 

Les poèmes de Maurice Bouchor (1855-1929) ont inspiré plusieurs musiciens. Parmi eux Mélanie Bonis, Charles Bordes, Pierre de Bréville, Isaac de Camondo, Ernest Chausson, Claude Debussy ou André Gedalge. Chausson a souvent été le premier, mais pour Le temps des lilas… il a été précédé par Charles Bordes qui a écrit sa mélodie en 1883. Les mélodies écrites par Pierre de Bréville datent de la même année. Il est évident qu'il lisait les mêmes poètes que son ami.

Voici comment, en 1880, le dessinateur Georges Rochegrosse voyait Maurice Bouchor :

Portrait--1880--Georges-Rochegrosse.JPG


 On lira en cliquant ici la notice du site de Gilles Picq, brève et claire. La bibliographie est utile. On regrettera une conclusion malheureuse, rédimée quand même par le mot "injustice" :"Son œuvre poétique a certainement souffert d'avoir longtemps servi de catéchisme à l'école laïque et obligatoire, si bien que ce poète à dictées et à récitations fleure encore aujourd'hui le désuet. C'est là une injustice, car, à la lecture, nombre de poèmes de Bouchor résistent aux morsures du temps."

Cet auteur est trop souvent traité avec condescendance, même par ceux qui veulent le défendre. Cette attitude est suspecte. C'est grâce à l'école publique que son nom a franchi les générations et est parvenu jusqu'à nous.

Ce billet va essayer de présenter rapidement son œuvre, buts et facettes, avant de parler un peu plus des quatre mélodies écrites par Charles Bordes.

Son oeuvre propre a pu souffrir de son activité pédagogique, tout comme celle de Charles Bordes qui a aussi sacrifié à la pédagogie son œuvre personnelle. Il a accepté cette situation, écrivant : "C'est avec l'allégresse la plus vive, et sans être affligé d'inutiles regrets en pensant à d'autres projets abandonnés, que j'entrepris ces divers travaux…" (Chants populaires pour les écoles. Troisième série. Livre du maître. 1909, p.3). Il exprime avec vigueur son sentiment de responsabilité : "Dans l'école, à travers l'école, n'aimons-nous pas, nous tous, le peuple qui nous y donne ses enfants, appelés bientôt, trop tôt, à la dure vie du travailleur, ouvrier ou paysan ?" (id., p.3)

En ce qui concerne le fonds religieux de l'œuvre de Maurice Bouchor, tout en respectant "la foi spirituelle" et "la foi confessionnelle", il conclut "…je dis que l'on peut se passer de l'une comme de l'autre et trouver de suffisantes raisons, qui sont peut-être les plus nobles, de vivre et de bien agir, en même temps qu'un réconfort puissant et l'enthousiasme nécessaire aux plus difficiles transformations sociales, dans la simple conscience de son devoir, dans l'amour des hommes et dans quelque haute espérance, moins éloignée et plus concevable que celles dont les religions font le viatique de leurs fidèles." (id. p.15) Pour les 25 ans des ENS de Fontenay et de St Cloud, en juin 1906, il lit un poème qui déclare :

Mais nous avons compris qu'en face du mystère

Le plus loyal et le plus sage est de nous taire ;

      Que l'atténuer serait vain ;

Que nulle foi devant la raison ne s'impose,

Et que nous ne pouvons enseigner autre chose

      Que le relatif et l'humain.

Enfin, il est important de souligner cette profession de foi républicaine : "Il est impossible de concevoir l'école publique, dans la France actuelle, sans préférence pour le régime républicain…" (id. p.12).

Maurice Bouchor sillonne la France, les écoles normales et les écoles de village, pour faire chanter les enfants : "…je fis mon tour de France, méthodique et complet, pour le recommencer ensuite en zigzag, allant d'abord partout où l'on m'appelait, puis, quand cela devint impossible, où j'avais le temps d'aller…" (id.,p.2). Avec la collaboration de Julien Tiersot qui collecte et harmonise, il publie trois recueils de Chants populaires pour les écoles, en 1895, en 1902 et en 1907 ; il y a là une centaine de chants traditionnels, souvent avec des paroles qu'il compose lui-même. On est frappé par le parallélisme avec l'action de Charles Bordes à la Schola Cantorum, sur un tout autre versant de la société française, mais avec le même amour de la musique.

Il met son œuvre et son talent au service de l'école et des Universités populaires. Il écrit moins de poésie, mais ses publications sont nombreuses, essais, théâtre, contes. Ses pièces de théâtre, des Mystères (La Légende de sainte Cécile, La Dévotion à saint André) à La tempête de Shakespeare (qu'il traduit) sont jouées par des marionnettes,

Bouchor-par-Evert-van-Mudyen.jpg

au Petit Théâtre des Marionnettes dans les années 1880-90, puis là où on les demandait. Pour la fête des Rois de 1906, à Montpellier, Charles Bordes dirige une pastorale en quatre tableaux de Paul Vidal, texte de Maurice Bouchor. Les marionnettes sont sculptées par Raymond Dussol qui avait décoré la Schola Cantorum de la place Saint Ravy. (Informations trouvées  dans la thèse de Bernard Molla sur Charles Bordes, Tome I, p. 277.) Le spectacle s'adressait aux enfants ; c'était à 21 h, mais un mercredi, et le jeudi était à l'époque un jour de repos.

Les contes de Maurice Bouchor ont été utilisés dans de nombreux manuels scolaires. L'expérience montre que l'on peut toujours les raconter aujourd'hui. Vous en lirez des spécimens en cliquant ici ou . Les héros sont des gens simples.  Ils ont le bon sens et l'intuition qui leur permettent de vaincre les obstacles.

 

 

Les mélodies écrites par Charles Bordes décrivent le cheminement de l'amour du bonheur au malheur, puis le lieu de la victoire, la réponse, dans le Madrigal à la musique. Elles sont au nombre de quatre.

 

Sous le titre Chanson, mélodie écrite en 1883 qui provient du livre Les Poëmes de l’Amour et de la Mer,  Charpentier, Paris, 1876 (Maurice Bouchor avait 21 ans ; la mélodie est publiée en 1921 par Pierre de Bréville), nous avons une description de l'amour comme un voyage :

Nous sommes partis au matin

au milieu de la nature :

Fleurs, coquettes fleurs des blés,

Paraient ses cheveux dénoués.

C'est un univers merveilleux :

Nous allions vers les pays bleus

Pour cueillir les lys fabuleux

où la réalité est transposée ; le thym coexiste avec le jasmin, le rossignol avec le merle, le sous-bois est silencieux et sonore à la fois. Comme dans la troisième strophe du poème d'Aimé Mauduit, les fourrés sont propices à la sensualité :

       sous-bois nous avons trouvé

Plus de chansons que de pinsons,

Plus de baisers que de chansons. 

Peu importent les contradictions : le poème, la mélodie, disent la joie pure.

 

Le bonheur continue apparemment dans L'hiver (dans le même recueil ; on trouve la mélodie dans le recueil établi en 1914 par Pierre de Bréville). Pas besoin de fleurs, leur langage est inutile. Nous sommes dans le cycle des saisons :

L'automne est passé, l'hiver est venu (…)

Doux ciel de l'hiver, ô pâle ciel bleu,

Que je t'aime ! 

Et le moment est favorable comme le dit la fin du poème :

Tout illuminé d'un rayon de joie !

Il y a cependant  une sourde inquiétude : "nos mélancolies", "nos cœurs frileux" et ce temps suspendu avec le refus de penser à l'avenir :

S'il pleut sur la mer et s'il grêle, eh bien,

Nous nous enfermons, nous n'en savons rien,

Et nous n'osons pas regarder les voiles.

Certes "nous nous aimons mieux…" mais le bonheur est temporaire comme "la lueur du feu".

 

On trouvera le texte de la troisième mélodie, Amour évanoui (recueil de 1921), ailleurs dans ce blog où l'aspect people du poème est raconté. Nous n'y reviendrons pas ici. Comme écrivait Rutebeuf, "L'amour est morte". Le malheur explose :

Le vent a changé, les cieux sont moroses

Les fleurs, souvent utilisées pour dire qu'il faut aimer, disent maintenant le contraire. Les ronsardises à la Mauduit sont finies ; il y a un subtil retournement du carpe diem :

Le temps du lilas et le temps des roses

Avec notre amour est mort à jamais.

 

Le Madrigal à la musique, (écrit en juin 1895) est la traduction  du texte, probablement de Shakespeare  (peut-être de John Fletcher), cité dans Henry VIII (acte III, scène 1), Maurice Bouchor publie Les Chansons de Shakespeare, mises en vers français, chez L. Chailley, en 1896. Charles Bordes écrit la mélodie en juin 1895. On peut la trouver dans le recueil de 1914. C'est un chœur à quatre voix, la seule mélodie dans ce cas.

Ici, c'est le plus grand bonheur avec le triomphe de la musique. Pour Bouchor comme pour Bordes, en ce moment de maturité, cela a beaucoup de sens (pour ce blog aussi, et c'est avec le Madrigal à la musique que nous l'avons ouvert, le 3 février). Le mythe d'Orphée "la voix que la lumière fit entendre" (Apollinaire, Bestiaire, 1911) est inséparable des grandes œuvres du répertoire musical. Alibert nous dit combien Charles Bordes était familier avec Monteverde (c'est ainsi qu'il disait). Souvent, ce sont les animaux qui sont subjugués ( et plus généralement, comme on dit en anglais, "Music soothes the savage breast"). Ici, Orphée charme les plantes et la nature, en particulier la mer :

              …et la vague marine,

Vaincue, à ses pieds déferlait.

Les résonnances sont multiples, chez Bouchor d'abord, qui avait traduit La Tempête de Shakespeare (publiée en 1888) : Prospero, par son art, suscite la furie des vagues et en fait naître un bien, distinguant, grâce à cette tempête, les méchants et les bons. Chez Bordes aussi, puisque dans son opéra inachevé, Les trois vagues, selon le mythe basque, la vague de lait, puis la vague de larmes enfin la vague de sang sont vaincues :

                                 Et ta puissance est telle

Que la peine du cœur, oui, la peine mortelle

Meurt ou s'endort lorsqu'il te plaît.

 

Maurice Bouchor écrivait en 1885 :

Oh ! puissé-je trouver de limpides paroles !

Je me tairai longtemps, trop heureux si j'écris

Un livre simple et vrai, sans rêves ni symboles,

Et qui soit accessible aux plus humbles esprits…

Les poèmes choisis par Charles Bordes pour ses mélodies sont riches en "rêves" et "symboles"; ce sont cependant, ce billet a essayé de le montrer,  "de limpides paroles".

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20 août 2011 6 20 /08 /août /2011 08:50

 

Je ne signe pas les billets de ce blog ; mon nom, j'ai oublié de le dire, c'est Bernard Cassaigne. Vous ne saurez pas grand chose d'autre ; ce n'est pas le but du blog de raconter mes états d'âme. Je suis un "retraité actif", comme on dit. Dans une autre vie, j'étais prof d'anglais. En fait, il me semble que je dis beaucoup de choses sur moi. Lisez entre les lignes.

Si ça vous intéresse de savoir à quoi je ressemble (presque tous les blogs ont ça), il faudra me chercher. Je suis photographié dans la Bibliothèque de Vouvray, pendant l'Heure du Conte. Je suis debout, de face (les enfants sont photographiés de dos, c'est la règle). Charles Bordes n'est pas loin : je raconte Les trois vagues aux enfants et je vais lancer le harpon dans la vague de sang qui ne résistera pas.

Les adeptes du googling verront qu'un moment j'ai invoqué (après Flaubert), "les langues de phénicoptères cuisinées" et même écrit sur "Gabo" et aussi sur Rodin en traduisant Claudio Gutiérrez.

Pour me joindre, si vous ne me connaissez pas personnellement, écrivez à OverBlog, ils feront suivre.

Il me semble important de reproduire, inchangé, un texte précédent, envoyé par courriel (le 19 février 2011) aux mélomanes qui pouvaient s'intéresser à Charles Bordes.


Ces quelques lignes ont pour but de vous informer de l'ouverture de mon blog "Autour de Charles Bordes".

De septembre 2009 à janvier 2010 j'ai fait paraître, à partir de la Bibliothèque Municipale de Vouvray, un bulletin intitulé "Charles Bordes vu de Vouvray". Vous en avez peut-être parcouru les billets.

Ils seront progressivement repris (et réécrits) dans le blog dont je vous parle. Vous pouvez les lire, ou ne pas les lire ; votre liberté est complète. Vous pouvez aussi les commenter.

Sans être doué en informatique – loin de là – je bénéficie de l'expérience que me donne un autre blog "Lire à Vouvray" qui est une émanation de la BMV. J'apprécie également l'élargissement du lectorat que permet un blog.

Parmi les raisons plus immédiates, il y a eu le concert Palestrina à Vouvray en novembre, et surtout, le choc produit début septembre par la disparition de la pierre dans le tombeau Bonjean/Bordes du cimetière de Vouvray. Vous en saurez plus dans quelque temps.

Je prends seul la responsabilité du blog "Autour de Charles Bordes". Je compte sur votre indulgence ; vous me direz quand je me trompe, vous exprimerez vos désaccords.

Je suis bien conscient d'aborder des sujets où ma compétence est… variable. La musique en premier : Charles Bordes est d'abord un compositeur (peu connu) ; son œuvre de pédagogue, mieux étudiée, sera peu abordée. Il sera aussi question de littérature, d'arts plastiques, d'histoire (souvent locale), etc. Ces mots me donnent le tournis. Des langues autres que le français feront leur apparition. Ceux qui me connaissent comprendront avec quel plaisir j'ai pu citer Shakespeare dès le premier billet. L'euskara aura sa place et aussi le castillan, le languedocien comme le latin.

A bientôt sur le blog.

 

J'ai tenu d'autres propos qui voulaient être utiles et même pratiques dans un billet de ce blog. Vous les retrouverez aisément en cliquant ici. J'y parle notamment des liens et des catégories (…).

 

Pour terminer, voici un poème en anglais. Je l'ai vu, jadis, dans le métro de Londres. L'auteur, Gavin Ewart, y parle du dernier été d'un chat. Vous le savez, j'aime les chats, et j'en ai déjà parlé à propos de Charles Bordes, en consacrant un billet à Gwen John. Je pense aussi à Groc ("jaune" en catalan), notre 7e chat, que nous venons d'adopter et qui vit sans doute ses derniers jours.

 

A 14-YEAR OLD CONVALESCENT CAT

 

I want him to have another living summer, 

to lie in the sun and enjoy the douceur de vivre

because the sun, like golden rum in a rummer,

is what makes an idle cat un tout petit peu ivre

 

I want him to lie stretched out, contented,

revelling in the heat, his fur all dry and warm,

an Old Age Pensioner, retired, resented

by no one, and happinesses in a beelike swarm

 

to settle on him – postponed for another season

that last fated hateful journey to the vet

from which there is no return (and age the reason),

which must soon come – as I cannot forget.

 

Dans ce blog "Autour de Charles Bordes", la musique aura le dernier mot. Une mélodie a été écrite sur ce poème. Elle est chantée par son auteur, David W. Solomons.

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16 août 2011 2 16 /08 /août /2011 11:33

 

Il y a quatre mélodies de Charles Bordes sur des poèmes de Jean Lahor :

Chanson triste, Sérénade mélancolique, Fantaisie Persane et Pensées orientales.

Les trois mélodies (opus 8) sont écrites en 1889 sur des textes provenant du recueil  Melancholia (Alphonse Lemerre, 1868) et repris dans L'illusion : Chants de l'amour et de la mort, Chants panthéistes, (1888). Charles Bordes les présente dans cet ordre : Chanson triste, Sérénade mélancolique et Fantaisie persane (publiées chez Le Bailly, O. Bornemann, sans date). Ce troisième poème porte, dans L'illusion, le titre Fantaisie orientale. La troisième strophe retenue est celle qui figure dans L'illusion. Le cycle est créé à Paris le 1er mars 1890 à la Salle Pleyel par Aline Jacob et dédié à Fanny Lépine. La mélodie Pensées orientales a probablement été écrite en 1889. Elle est dédiée à Isaac Albeniz. Le poème est aussi dans le recueil Melancholia.

Jean-lahor--L-illusion.jpg

Charles Bordes est mort le 8 novembre 1909, Jean Lahor le 1er juillet de la même année.

On notera qu'il était proche de Mallarmé, comme Camille Mauclair. En 1889, à Aix-les-Bains, le Docteur Cazalis (le vrai nom de Jean Lahor) s'occupa de Verlaine,  recommandé par Mallarmé.

Le rapprochement entre le poète et le musicien surprend au premier abord. Disons pour simplifier qu'il y a loin entre le chrétien convaincu et l'adepte souvent sceptique du mysticisme oriental.

Ce qui les relie d'abord, c'est cette conviction qu'il faut agir, créer pour ses semblables. Le créateur de la Schola Cantorum approuvait Lahor lorsqu'il écrivait :

                          tout flambeau

Jette en brûlant de la lumière 

secrètement il ressentait la vérité de ce conseil :

Souviens-toi que la vie est brève.
De vertu, d'art enivre-toi .

François-Paul Alibert, témoin des derniers mois de Charles Bordes écrit : "il dépensa une généreuse magnificence à gaspiller sa vie." On croit voir un personnage du poète.

Certes, Lahor ne croit pas à la vie éternelle ; dans le même poème, extrait de L'illusion, il ajoute :

                  songe au tombeau

Où tu redeviendras poussière

Lahor, les yeux ouverts, refuse de céder au vertige :

Avant de replonger au gouffre,
Fais donc flamboyer ton néant
,

il agit. (Encore une fois, Bordes n'aurait pas fait sienne la notion de néant.)

 

Le Dr Henri Cazalis s'intéresse à l'hygiène publique, aux examens pré-nuptiaux, au thermalisme, etc. Il publie des études pour l'Académie de Médecine. Mais aussi il s'interroge sur la fonction de l'art (on trouvera dans Gallica son essai de 1902 L'art pour le peuple, à défaut de l'art par le peuple sur ce sujet). Il s'intéresse à l'art nouveau et c'est un "vert" avant tout le monde lorsqu'il prononce une conférence sur "L'arbre" (1903) et participe à la création de la "Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France" en Haute-Savoie ; fondée en 1901 à l'initiative du poète, cette association existe toujours.

 

Charles Bordes pouvait suivre une mode, sans doute : d'autres que lui (Saint-Saëns, Duparc, Chausson etc…) ont aussi utilisé des poèmes de Lahor. Mais Charles Bordes est aussi lecteur, et le contraste entre les deux créateurs était tellement grand que, paradoxalement il ne pouvait qu'y avoir entente.

Au-delà du mirage de l'Orient, phénomène de mode partagé par de nombreux Parnassiens et d'une façon générale par le milieu culturel de la fin du 19e siècle, il y a chez Charles Bordes comme chez Jean Lahor une attitude volontariste commune.

Dans les mélodies, il y a la souffrance et l'amour, parfois rédempteur :

Dans tes yeux alors je boirai

Tant de baisers et de tendresses,

Que peut-être je guérirai.

parfois mortifère :

Je souffre, j'étouffe, je pleure :

O mon amour, fais de tes bras,

Pour que je m'y perde et j'y meure,

Un tombeau que tu m'ouvriras ! 

et toujours cet ailleurs merveilleux, par exemple la bayadère de Fantaisie persane qui

Tourne sans fin, tourne dans l'air.

Mais attention : ce mouvement infini est celui du créateur :

Danse ainsi, danse, ô ma pensée,

Tourne, tourne d'un pas égal.

Le poète et le musicien se rejoignent ici aussi, dans leur besoin de créer, de la poésie, de la musique.

Ne cherchez pas chez votre libraire. Vous ne trouverez rien de Jean Lahor. D'ailleurs, qui lit la poésie ? Qui lit la poésie des autres siècles ? On peut me faire mentir et aller sur Gallica (eh oui, Lahor est dans le domaine public). Vous y trouverez ses principaux recueils, parcourez-les, comparez avec ses contemporains (par exemple Leconte de Lisle). Vous vous dites : "Voilà bien du monde à sortir de l'oubli." Et que faisons-nous en parlant de Charles Bordes ?

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16 août 2011 2 16 /08 /août /2011 11:03

 

Les lecteurs de ce blog se demandent peut-être ce que vient faire ici cette sculpture d'Auguste Préault sur la tombe de Jacob Roblès au cimetière du Père Lachaise (dans l'ancien enclos israélite).

Preault--Le-Silence--Robles.jpg

Ce médaillon date de 1842. Préault en a réalisé plusieurs copies en bronze et en plâtre (comme celle de l'Art Institute de Chicago, présentée plus loin), et l'œuvre était bien connue. Le peintre Odilon Redon la connaissait et la parenté avec son propre Silence, peint pour la bibliothèque de l'Abbaye de Fontfroide en 1910 est évidente.

Odilon-Redon--Le-Silence--Fontfroide.jpg

En plus, Odilon Redon s'intéressait particulièrement à Auguste Préault. Dans La Gironde du 2 août 1868, il lui avait consacré un article, après sa visite du Salon, en particulier sur sa vision de la mort dans le monument consacré à Mickiewicz. L'œuvre présentée, qui se trouve actuellement à la Bibliothèque polonaise de Paris, était proche du Silence de 1842 :

Preault--Mickiewicz.jpg

la mort interrompt la parole du poète, la bouche encore entr'ouverte.

L'autre jour, en visitant Fontfroide, j'espérais que Redon avait peint le visage de Charles Bordes parmi ceux qui volent dans son tableau  La nuit. Les musiciens y sont, Schumann et Ravel et Ricardo Viñes et Déodat de Séverac, le disciple de Charles Bordes, mais je n'ai pas reconnu la tête du "pater" parmi les têtes dont l'attribution est encore floue. J'ai trop regardé cette photo du 18 septembre 1906 où Viñes, Déodat de Séverac et Bordes sont réunis.

Le silence règne dans la bibliothèque ; c'est aussi celui des moines dans le cloître, c'est celui des "feux follets" et des créateurs qui ne disent plus rien.

Comme ces mélodies, ces poèmes figés dans des livres et qui attendent des demains incertains.

Preault--Le-Silence--Art-Institute.jpg

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14 août 2011 7 14 /08 /août /2011 19:05

 

Trois mélodies de Charles Bordes sont écrites sur des poèmes de Léon Valade. Elles ont été écrites en 1885, deux ans après la mort de l'auteur. (Poèmes publiés dans A mi-côte chez Lemerre en 1874.)

Le poète est aujourd'hui peu connu. Ce n'était pas le cas dans ces années 1870-1880 et il figure dans un tableau célèbre, "Un coin de table" par Fantin-Latour, au Musée d'Orsay à Paris. Ce tableau date de 1872.

Leon-Valade--dans-Un-coin-de-table.jpg

C'est bien sûr la présence de Verlaine et de Rimbaud qui lui donne sa célébrité. On lira la notice du Musée d'Orsay et aussi celle de Wikipédia. Mais regardez le personnage qui est assis au centre, les bras croisés : c'est Léon Valade. Il faisait partie du groupe des "Vilains Bonshommes", rejoint en 1871 par Rimbaud. Il était le principal collaborateur de "l'Album zutique". Un dessin de Verlaine y montre Valade et son grand ami le poète Albert Mérat (à droite, de profil, Verlaine à gauche).

Leon-Valade--Vilains-bonshommes--dessin-de-Verlaine.jpg

Mérat n'est pas dans le tableau Un coin de table. Il aurait dû y figurer, mais il était fâché avec Rimbaud. A sa place, vous voyez un bouquet de fleurs, tout à droite.

Léon Valade a rapidement mesuré le caractère exceptionnel de Rimbaud. Un des premiers à le faire. Il écrivait dans une lettre à Emile Blémont, (debout, au centre, avec le nœud papillon, dans le tableau de Fantin-Latour) du 2 octobre 1871 : "…un effrayant poète qui a nom Arthur Rimbaud, […] dont l'imagination pleine de puissance et de corruptions inouïes a fasciné tous nos amis. […] C'est un génie qui se lève. Ceci est l'expression froide d'un jugement pour lequel j'ai déjà eu trois semaines, et non d'une minute d'engouement." (passage cité par Luc Badesco, La génération poétique de 1860, Nizet 1971, p. 1045).

 

Les mélodies de Charles Bordes sont comme les trois mouvements de Madrigaux amers qui en est le titre commun.

Le premier poème, Profonds cheveux, marque la présence du mal amoureux et de l'illusion qui va avec. Les cheveux seuls expriment l'innocence et aussi la sensualité (3-4) ; ils ne sont pas responsables (9). Le reste n'est que méchanceté (6), indifférence amoureuse (7), cruauté (10). Un leurre : le résultat est la souffrance (8). Ce constat est présenté, nous dit le musicien "Lent avec un sentiment contenu".

Le deuxième poème Le rire, montre une accalmie (3), une joie (4, 9), et l'acceptation du mal. "Pas trop lent" dit Charles Bordes. Même les pleurs de l'aimée sont un délice (5-8), mais le poète sait que c'est une tromperie (11), acceptée comme telle (11-12).

Le dernier poème, Sur la mer, dit l'échec. L'illusion a continué un moment : Mes rêves […] ont cru fendre le bleu des cieux. Mais l'amant est vaincu. Vision traditionnelle, c'est la perfidie féminine (10). Les ondes du premier poème sont devenues un tombeau : le noyé sous les ondes (12). Dans le conte basque, bien connu de Charles Bordes, il est possible de vaincre la vague de larmes et même la vague de sang. Ici, ce n'est pas la même tragédie. Point de sang. Mais des larmes, oui, la vie est ainsi faite. Et le résultat, c'est la mort de l'amour :

Mes rêves sont ensevelis.

L'ensemble conduit à cette constatation résignée. La douleur est aussi à accepter. Un pessimisme élégant, que le titre souligne. Dans sa préface à l'édition Lemerre, Camille Pelletan décrit cette ambivalence : "Le titre de Madrigaux amers, que Valade a donné à quelques-unes de ces pièces, en rend bien le double caractère de subtilité ingénieuse et de sensibilité aigrie, ce sont des bouquets de fleurs frêles et maladives, aux nuances fuyantes, à l'arôme léger, écloses entre deux pavés de Paris, et frissonnantes comme des sensitives. Il y a, il me semble, quelque chose de tout-à-fait personnel, dans ces vers où une analyse singulièrement précieuse se mêle à un sentiment intense de douloureuse et inquiète tendresse. On dirait que le poète épris de la fragilité féminine, passionnément curieux et souffrant du monde de complications qu'elle renferme, met cette sorte de dilettantisme mélancolique qu'il donnait lui-même comme le trait marquant de son esprit, à savourer ce qu'il y a de plus délicat dans les blessures du cœur." Camille Pelletan est présent à droite dans le tableau de Fantin-Latour, le seul qui n'est pas en noir car il n'est pas poète. Mais il sait analyser finement les sentiments de son ami. Il voit bien les complications de "la fragilité féminine" et cette sorte de plaisir dans la douleur : "savourer […] les blessures du cœur".

Pour terminer ce billet, un portrait de Léon Valade :

Leon-Valade--Bordeaux--theend-018.JPG

c'est le buste du poète par Charles-Louis Malric dans le Jardin public à Bordeaux, où il est né en 1841 (photo Tony Shaw).

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7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 19:49

 

On devrait mieux regarder les monuments qui ornent nos villes et nos villages. Ils sont pleins d'enseignement. A Vouvray, il y a le buste de Gaudissart, le personnage de Balzac. Ce n'est pas notre sujet ici. En face, au bout de la place, se trouve le buste en bronze de Charles Vavasseur par le sculpteur Aimé Octobre. C'est presque notre sujet. Le sculpteur est dans sa chapelle, là-haut au "cimetière dans les vignes", en face du tombeau Bordes/Bonjean. Vavasseur est tout près, lui aussi, sa tombe est peut-être à une dizaine de mètres de celle de Charles Bordes. Il a été élu Maire de Vouvray en 1908, il était présent le 20 janvier 1910 pour l'inhumation du musicien et il était aussi présent le 17 juin 1923 lors de l'inauguration du monument Charles Bordes.

(Charles Vavasseur, député de 1919 à 1924, est resté maire jusqu'en 1944 ; on peut lire avec profit le mémoire d'Alain Lecomte : Charles Vavasseur (1867-1950) : leader de la droite tourangelle d'une guerre à l'autre, Tours 1998, consultable à la BMV.)

 

monument--8843-JPG

 

Ce monument est appuyé sur le mur sud de l'église de Vouvray. Il a été vu des centaines de fois. On ne l'oublie pas.

 

monument, chanteurs et antiphonaire, 9384.

 

Les trois enfants qui chantent, dans la joie et dans la douleur, marquent les esprits. C'est eux qu'on voit surtout. Puis on remarque le pupitre et les neumes sur l'antiphonaire. Chacun comprend que c'est du grégorien. C'est une évocation claire et puissante. Récemment, à la fin d'une visite guidée de cet endroit, un jacquaire, inspiré par le lieu et l'œuvre, entonnait un chant liturgique appris dans son enfance.

Y a-t-il un sens particulier à cette partition dans la pierre ?

Que chantent-ils ? La question a été posée à Solesmes. Sans texte, c'est difficile, mais Dom Daniel Saulnier reconnaît dans la première ligne du manuscrit la mélodie de l'introït : "Circumdederunt me gemitus mortis", c'est-à-dire, selon la Bible de Port Royal, pour ce Psaume 116,3 "Les douleurs de la mort m'ont environné" (et sans provocation ou œcuménisme je proposerai "The sorrows of death compassed me" dans l'Authorised version de 1611, parce que c'est mieux écrit). A l'opposé de cette détresse, la deuxième ligne est celle de l'introït du 4e dimanche de Carême : "Laetare Ierusalem et conventum facite", soit : "Réjouissez-vous avec Jérusalem, … vous tous qui l'aimez". La douleur, la joie, c'est ce qu'exprime la sculpture.

Si l'artiste a bien réalisé cette partie du monument, établissant un lien entre l'endroit (l'église, la Pierre d'attente des morts, devant le monument), les chanteurs et ce qu'ils chantent, il n'a pas disposé de la documentation adéquate pour le médaillon censé représenter Charles Bordes de profil en haut de ce contrefort. Charles Bordes avait 46 ans quand il est mort, et il n'a jamais ressemblé à ce notable tranquille (ailleurs, je l'ai qualifié de "barbon", on me pardonnera). Cela ne ressemble pas à ce que les photographies nous montrent et nous sommes loin de ce profil très réussi qui se trouve dans l'église Saint Gervais à Paris.

 

portrait--plaque-St-Gervais--9173-JPG

 

Certains trouvent que le monument manque d'unité. D'une part on voit les choristes en surplis et leur partition sur un lutrin, d'autre part ce contrefort d'église avec le médaillon où Charles Bordes est représenté. Il s'agit d'une représentation de contrefort, plus petit qu'un contrefort véritable, ramené aux proportions du monument et qui rappelle le contrefort de l'église. Ces deux parties nous disent la même chose. Charles Bordes est défini comme le défenseur du chant liturgique : le texte, gravé sur le socle, nous rappelle qu'il a fondé les Chanteurs de Saint Gervais et la Schola Cantorum. Nous savons qu'il a fait revivre la Semaine Sainte (1892), puis créé cette école (1896), conscient de ce qui menaçait la musique sacrée en cette époque de changements radicaux. Le contrefort, qui fait partie intégrante du monument, souligne ce rôle de soutien : une métaphore sculptée qui fait de Charles Bordes le défenseur de cette cause.

On lit aussi, et c'est même dit en premier, que c'est le compositeur qui est honoré. La même expression vient en premier aussi sur la palme métallique posée sur la tombe, là-haut dans le cimetière. Il faut donc aussi voir dans le monument un symbole de la musique vivante, même si l'œuvre propre de Charles Bordes est souvent estompée.

Un regard, encore, sur cette pierre. L'église a été restaurée il y a quelques années et on voit bien, sur la photo qui ouvre ce bulletin, comme le crépi est en bon état. Le monument n'a pas été touché par les artisans, ils ont bien fait, car il est fragile. Des plaisantins ont badigeonné les bouches des chanteurs et des gouttes ont bavé sur les surplis. Une intervention minuscule m'a montré que la pierre s'en va avec la peinture, dès qu'on y touche. Il ne s'agit pas de nettoyer le monument au karcher, mais de le traiter doucement, avec le respect qu'il mérite.

Le monument de Vouvray est l'œuvre de Médéric Bruno. Nous parlerons du sculpteur dans un prochain billet.

 

monument--mains--4292-JPG

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3 août 2011 3 03 /08 /août /2011 22:36

Charles Bordes écrit à Guétary, en août 1901, une mélodie intitulée Mes cheveux dorment sur mon front, titre qui dit simplement le premier vers du poème.

 

Mes cheveux dorment sur mon front,
Les lampes de mes yeux sont éteintes,
Plus mes lèvres ne parleront :
Mes cheveux dorment sur mon front.

Ils sont couchés sur mon front blanc
Comme les épis sur le champ :
Leur moissonneur fut mon amant.

Des moissons belles journées chaudes,
Moisson est faite dès longtemps :
Le glaneur du soir, sur le champ,
Vainement hésite et rôde.

Glaneur, glaneur, il fait trop noir,
Cherche ailleurs le pain d'espoir !

 
Le beau faucheur s'en est allé,

S'en est allé le coeur en fête,
Vers d'autres moissons non faites.

Mes cheveux dorment sur mon front,
Dans la terre ils germeront
Quand mon âme sera défaite,
Ils germeront dans la mort :

Glaneur, va t'en, mes cheveux blonds,

Pour lui seul dorment sur mon front !

 

Le poème est de Camille Mauclair qui l'a publié en 1904 sous le titre Chant de la moissonneuse dans le recueil Le sang parle.

De son vrai nom Séverin Faust, Camille Mauclair (1872-1945) est l'indispensable lien entre les auteurs, les peintres et les musiciens de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle. Il reste encore peu connu et est peu étudié par les chercheurs, en raison de ses nombreuses publications alimentaires (le terme "polygraphe" est souvent employé, de façon péjorative, à son égard) et surtout de son attitude impardonnable après 1930 et sous l'Occupation. Ce n'est pas notre sujet et nous ne occupons que de l'écrivain avant 1920.

Charles Bordes connaissait le poème avant sa publication en recueil. De nombreux musiciens utilisaient les poèmes de Camille Mauclair pour des mélodies (parmi les contemporains de Charles Bordes, des connus et des moins connus : Louis Aubert, Ernest Bloch, Gustave Charpentier, Ernest Chausson, Antoine Mariotte, Florent Schmitt). Camille Mauclair est l'auteur d'articles et de plusieurs livres sur la musique, par exemple La religion de la musique en 1909 ou Schumann en 1906. Comme Charles Bordes, il admirait ce compositeur qu'il citait : "la poésie est une confidente et un chant".

Un des thèmes de la poésie de Camille Mauclair (qui a écrit deux autres recueils, Sonatines d’automne, 1894 et Émotions chantées, 1926), étudié par Simonetta Valenti (Camille Mauclair homme-de-lettre fin-de-siècle : critique littéraire, œuvre narrative, création poétique et théâtrale, Éditions Vita e pensiero, Milano, 2003), est "la mort, destinée angoissante de l'homme mauclairien". C'est aussi un thème de prédilection de Charles Bordes, culminant en 1903 dans la mélodie sur le poème du pauvre Lélian, pour laquelle le compositeur note  : "Extrêmement lent et très résigné".

Il se fait temps qu'aussi je meure…

La répétition, au caractère incantatoire, est caractéristique de ce poème. On peut voir dans ce procédé une réminiscence de la chanson populaire, mais surtout elle exprime le caractère irrémédiable de la mort.

Dans le poème que nous considérons, l'angoisse, réelle, est mêlée à un espoir ambigu.  Le moissonneur du poème de Camille Mauclair, c'est la mort (au masculin, ainsi qu'en anglais : Death is the man takin' names, comme le chantait Paul Robeson), "le beau faucheur". Avec la faux, certes, mais loin de la danse macabre. Charles Bordes note ici "avec un sentiment populaire un peu sauvage" ; il lit le poème depuis Guétary, au Pays basque, et comme l'écrira François-Paul Alibert (dans Charles Bordes à Maguelonne, 1926, p. 35) le musicien marque son attirance pour "cette humanité barbare".

L'épi coupé, le mort, s'adresse à nous. Dès le début, la comparaison anthropomorphique fonctionne : les cheveux, le front, les yeux, les lèvres.

Le poète voit que la parole est vaincue et il a cette phrase terrible :

Plus mes lèvres ne parleront.

Sans doute, c'est l'écrivain qui exprime son angoisse. Mais la mort n'a pas été qu'une souffrance ; la brutalité est bonne, pas seulement pour le musicien :

Leur moissonneur fut mon amant.

Camille Mauclair retient l'image rurale du glaneur. Le mot répété contribue surtout à l'effet incantatoire du texte. Il faut voir au-delà de cette image réaliste. Le pain, dont le glaneur a besoin pour survivre sur cette terre, ce n'est pas le sujet. Il fait trop noir. Mauclair, poète symboliste, s'il partageait avec Zola des opinions dreyfusardes, avait soin de souligner que son approche littéraire était différente.

Les cheveux dorment ; se réveilleront-ils from that sleep of death ? Et l'ambigüité demeure. La perspective chrétienne, dans l'Evangile selon Saint Jean (12, 20) nous dit que la mort est un processus de vie : "si le grain tombé à terre ne meurt pas, il reste seul, mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruits". C'est ce que Camille Mauclair reprend, parlant des grains de l'épi moissonné :

Ils germeront dans la mort.

Sa vision est probablement différente. L'espoir, nous l'avons dit plus haut, reste ambigu. Il écrit dans Commentaire sur la poésie, qu'il y a une nouvelle forme de vie pour l'artiste, "une victoire sur la mort", c'est l'œuvre d'art, grâce à laquelle l'homme pourra se perpétuer (cité par Simonetta Valenti, p. 129).

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3 août 2011 3 03 /08 /août /2011 22:25

Un lecteur me signale qu'on peut écouter la Suite basque de Charles Bordes sur le net. Je ne le savais pas. C'est peut-être nouveau et, c'est vrai, je ne pense pas actuellement à la musique instrumentale, plutôt à la musique vocale et aux mélodies en particulier.

Faites un clic ici.

Vous êtes sur musicMe et vous avez la possibilité d'écouter les quatre mouvements de la Suite basque. L'œuvre est indiquée sous ce titre ; ne vous laissez pas troubler par ce qui suit (répété quatre fois) : "a (sic)Vincent d'Indy". Il faut lire à, car Vincent d'Indy est le dédicataire de l'œuvre, comme le montre la première page,

p.1, partition Suite basque

ici dans la transcription pour piano par Ernest Chausson, éditée chez S. Bornemann. La première version, (opus 6), composée en 1886 (Charles Bordes avait 23 ans) est pour flûte, deux violons, alto et violoncelle. Le CD, c'est le "disque tchèque" : premier enregistrement mondial de cette Suite basque, qui a eu lieu à Prague en 2007 (CD chez Orchard/Arcodiva). On entend Carlo Jans à la flûte, et le Quatuor Martinú composé de Luvbomír Havlák (premier violon), Irena Herajnová (second violon), Jan Jíša (alto) et Jitka Vlašánková (violoncelle). La durée totale est d'un peu plus de 22 minutes. Vous verrez le détail sur Internet, les mouvements III et IV étant sensiblement plus longs que les deux premiers.

On trouvera dans le CD une brève notice par Jiří Štilec sur la Suite basque (en anglais et en tchèque), mais l'analyse la plus complète, avec de nombreuses citations de la partition, est celle de Bernard Molla dans sa thèse, pp. 365-377, (Charles Bordes, pionnier du renouveau musical français entre 1890 et 1909 , Université de Lyon, 1985 ; consultable à la BMV). Les remarques qui suivent s'en inspirent.

Le premier mouvement, Prélude, introduit, dans le 1er mode grégorien (Jiří Štilec parle plutôt du Dorien et signale que les Rolling Stones l'utilisent dans leur chanson "She's like a rainbow" ; on pourrait donner d'autres exemples de l'emploi de cette gamme en mineur par d'autres groupes contemporains), la chanson labourdine Argizagi ederra suivie du deuxième thème, la chanson Choriñok kaiolan, exposée sans ornementation. C'est bien sûr ce qui a été signalé par notre lecteur, mais ce n'est pas fini.

Le deuxième mouvement, Intermezzo  suit un rythme de zortziko, indiqué au début par Charles Bordes. Ce rythme est très répandu au Pays basque avec sa mesure à 5 temps, asymétrique. La mélodie est jouée à la flûte qui évoque le txistu, flûte à bec basque à trois trous. On a l'impression de l'Aurrescu, danse nationale basque, avec son déhanchement rythmique.

Le troisième mouvement, Paysage, propose dans le pianissimo, le retour de la mélodie Choriñoak kaiolan. La chanson d'amour de Basse Navarre, collectée par Joseph Canteloube, Lurraren pian sar nindaiteke (Dans le tombeau, ô ma bien-aimée, j'ensevelirai ma douleur !) suit, entrecoupée par des fragments de Choriñoak kaiolan, qui conclut calmement.

Le quatrième mouvement, Pordon dantza, commence avec "une gravité douce", écrit Charles Bordes. Puis la "danse des bâtons" est exposée avec d'habiles variations entre la valse et le décalage rythmique apporté par la flûte. Le tempo s'accélère vers la frénésie finale. On entend de courts rappels de Choriñoak kaiolan et de Argizagi ederra. La danse caractérise ce mouvement et lui donne son unité. La sensibilité de Charles Bordes, qui avait collecté la Pordon dantza à Tolosa en Guipuzcoa, s'exprime lorsque le "musicien-voyageur" écrit en 1899 dans La musique populaire des Basques (p. 349), "les jeunes gens, aux tailles bien prises dans leur ceinture de soie, dansent leurs pas sacrés avec leurs bâtons et leurs épées." (passage cité par Bernard Molla). Cette vision reviendra dans le dernier article de Charles Bordes (Musica, n°86, novembre 1909, p. 173) : "Pour le spectateur bénévole, qu'il lui suffise, pour sa joie intime, de savourer la grâce exquise de ce cercle de jeunes gens, beaux pour la plupart et souples comme des chats."  

Au-delà d'une œuvre instrumentale séduisante, la Suite basque unit les éléments qui ont gouverné le travail artistique de Charles Bordes. C'est évident dans les pièces instrumentales et aussi dans l'opéra inachevé Les trois vagues, et de façon plus subtile dans les mélodies. Dans ses recherches d'ethno-musicologie au Pays basque, il retrouve les sources du plain-chant. De là tout son travail pédagogique sur la musique religieuse mais aussi sur la musique baroque et jusqu'à Gluck. Son intérêt pour la musique populaire, n'est jamais démenti (Société "Les chansons de France", Congrès de juin  1906 à Montpellier). En exergue de sa Rhapsodie basque (1889), Charles Bordes a placé cette phrase de Robert Schumann (Conseils à la jeunesse, 1848) : "Ecoutez attentivement la chanson populaire, c'est la source inépuisable des plus belles mélodies."

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25 juillet 2011 1 25 /07 /juillet /2011 11:44

 

En 1883, Charles Bordes compose une mélodie sur le poème Amour évanoui de Maurice Bouchor :

 

Le temps des lilas et le temps des roses

Ne reviendra plus à ce printemps-ci ;

Le temps des lilas et le temps des roses

Est passé, le temps des œillets aussi.

 

Le vent a changé, les cieux sont moroses,

Et nous n'irons plus courir, et cueillir

Les lilas en fleurs et les belles roses ;

Le printemps est triste et ne peut fleurir.

 

O joyeux et doux printemps de l'année

Qui vint, l'an passé, nous ensoleiller,

Notre fleur d'amour est si bien fânée,

Las ! que ton baiser ne peut l'éveiller.

 

Et toi, que fais-tu ? Pas de fleurs écloses,

Pas de gai soleil, ni d'ombrage frais.

Le temps des lilas et le temps des roses

Avec notre amour est mort à jamais.

 

Trois ans plus tard, Ernest Chausson termine sa mélodie sur le même poème. Les deux compositeurs se connaissaient. Par ailleurs, les poèmes de Bouchor ont été mis en musique par plusieurs compositeurs en plus de Bordes et de Chausson (Bréville, Camondo, Debussy, Gedalge, Tiersot, etc.) Vous trouverez toutes les précisions dans la précieuse Encyclopédie sur le site du Centre international de la Mélodie française.

La mélodie de Chausson a beaucoup de succès. Vous en trouverez plusieurs interprétations sur Internet. Ecoutez celle de Gérard Souzay (1955).

Cette douloureuse évocation de "la mort de l'amour", pour utiliser l'expression de Maurice Bouchor, a un versant humain, également douloureux, que certains trouveront peut-être trop "pipol" (ou people, comme on dit).

Le 10 juin 1899, en roulant en vélo dans la propriété du baron Laurent-Atthalin, au Limay à Mantes-la-Jolie, Ernest Chausson heurte de la tête un des murs d'enceinte et succombe d'une fracture du crâne. Il avait quarante quatre ans. Sa deuxième fille, Marianne, avait 8 ans. En 1911, elle était fiancée avec François Mauriac, puis ces fiançailles étaient rompues, la même année. Cela fit grand bruit.

Une explication est l'attitude de Mme Mauriac (son étouffante "genitrix ") ; les amis d'Ernest Chausson avaient continué de fréquenter le salon du Boulevard de Courcelles, les Fauré, Debussy, Redon, Denis, Monet, etc. et Mme Mauriac trouvait ce milieu trop artiste. Mauriac lui-même écrivait  : "je ne pense pas sans frémir au monde qui fréquente chez sa mère." Elle a donc poussé son fils à rompre. On lira sur ce sujet l'article "François Mauriac, lecteur de Maurice Bouchor, paroles et musique"  de Paule Lapeyre (dans Lire, écrire, contempler, 2006).

L'autre explication, plus récente, est que la rupture vient de Mme Chausson, effrayée de l'homosexualité latente de Mauriac (voir la biographie controversée de Mauriac par Jean-Luc Barré parue en 2009). Ce blog ne prendra pas partie.

La mélodie, si souvent entendue dans la famille Chausson, paraît en quelque sorte prémonitoire. D'autre part, comme le montre bien Paule Lapeyre, le thème de la rupture se retrouve dans l'œuvre de François Mauriac, de La Pharisienne à Maltaverne (roman inachevé) en passant par Le nœud de vipères. Il se marie en 1913 avec Jeanne Lafon.

Pendant la guerre Marianne Chausson est infirmière ; elle tombe amoureuse de Gaston Julia, défiguré au Chemin des Dames et qui portera toute sa vie un masque de cuir. Ils se marient en 1922. Le grand mathématicien, spécialiste de l'itération, découvre les fractales, plus tard étudiées par Mandelbrot. Ce n'est que justice de terminer ce billet, où une mélodie est revenue comme une obsession, par "l'ensemble de Julia".


Fractales, ensemble de Julia, Wikipédia

 


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