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5 juin 2013 3 05 /06 /juin /2013 22:22

[Le texte qui suit provient du livre Les plaisirs et les jours, publié par Marcel Proust en 1896. Il était illustré par Madeleine Lemaire

Proust--doc--Madeleine-Lemaire.jpgdans le salon de laquelle Proust avait rencontré Reynaldo Hahn. Nous savons la date : le 21 mai 1894. Ils deviendront amants et après resteront amis. Reynaldo Hahn avait écrit en 1893 Les chansons grises sur des poèmes de Paul Verlaine. Si vous disposez d'un quart d'heure, vous pouvez les écouter en cliquant ici, interprétées en décembre 1988 par Bruno Laplante (baryton) et Rena Sharon (piano).

Proust--doc--couverture-Les-Chansons-grises.jpg

On trouvera Les plaisirs et les jours dans l'édition de Thierry Laget en Folio Classique (1993).

Le passage cité est le chapitre IV de Rêveries couleur du temps qui réunit des poèmes en prose. Cette fin du 19e siècle, c'est la grande époque de la mélodie. On l'écoute en famille, comme dit Proust, mais bien sûr dans un salon ou au concert. Le tableau de Pierre-Georges Jeanniot, La chanson de Gibert, montre un moment musical du salon de Madeleine Lemaire en 1891,

Proust--doc--Pierre-Georges-Jeanniot--Une-chanson-de-Gibert.jpgainsi que le tableau de Gervex, Un mardi, soirée chez Madeleine Lemaire (Musée Carnavalet), peint vers 1910.

Proust--doc--Un-mardi--soiree-chez-Madeleine-Lemaire--c.-1.jpg

Outre Reynaldo Hahn, on pourrait illustrer le texte par des airs de Chausson, Duparc, Chabrier et bien d'autres. Proust parle d'une "invisible messe", de "la communion à un même rêve". Il donne à la mélodie son sens spirituel. Dans un autre billet nous reviendrons sur cette façon d'aborder la mélodie ; en lisant ce texte, évidemment, nous pensons aussi à Charles Bordes.]

Proust--doc--couverture-Les-plaisirs-et-les-jours.jpg

 

 

Famille  écoutant la musique

      "Car la musique est douce,
      Fait l'âme harmonieuse et comme un divin chœur
      Éveille mille voix qui chantent dans le cœur."


      Pour une famille vraiment vivante où chacun pense, aime et agit, avoir un jardin est une douce chose. Les soirs de printemps, d'été et d'automne, tous, la tâche du jour finie, y sont réunis ; et si petit que soit le jardin, si rapprochées que soient les haies, elles ne sont pas si hautes qu'elles ne laissent voir un grand morceau de ciel où chacun lève les yeux, sans parler, en rêvant. L'enfant rêve à ses projets d'avenir, à la maison qu'il habitera avec son camarade préféré pour ne le quitter jamais, à l'inconnu de la terre et de la vie ; le jeune homme rêve au charme mystérieux de celle qu'il aime, la jeune mère à l'avenir de son enfant, la femme autrefois troublée découvre, au fond de ces heures claires, sous les dehors froids de son mari, un regret douloureux qui lui fait pitié. Le père en suivant des yeux la fumée qui monte au-dessus d'un toit s'attarde aux scènes paisibles de son passé qu'enchante dans le lointain la lumière du soir ; il songe à sa mort prochaine, à la vie de ses enfants après sa mort ; et ainsi l'âme de la famille entière monte religieusement vers le couchant, pendant que le grand tilleul, le marronnier ou le sapin répand sur elle la bénédiction de son odeur exquise ou de son ombre vénérable.
      Mais pour une famille vraiment vivante, où chacun pense, aime et agit, pour une famille qui a une âme, qu'il est plus doux encore que cette âme puisse, le soir, s'incarner dans une voix, dans la voix claire et intarissable d'une jeune fille ou d'un jeune homme qui a reçu le don de la musique et du chant. L'étranger passant devant la porte du jardin où la famille se tait, craindrait en approchant de rompre en tous comme un rêve religieux ; mais si l'étranger, sans entendre le chant, apercevait l'assemblée des parents et des amis qui l'écoutent, combien plus encore elle lui semblerait assister à une invisible messe, c'est-à-dire, malgré la diversité des attitudes, combien la ressemblance des expressions manifesterait l'unité véritable des âmes, momentanément réalisée par la sympathie pour un même drame idéal, par la communion à un même rêve. Par moments, comme le vent courbe les herbes et agite longuement les branches, un souffle incline les têtes ou les redresse brusquement. Tous alors, comme si un messager qu'on ne peut voir faisait un récit palpitant, semblent attendre avec anxiété, écouter avec transport ou avec terreur une même nouvelle qui pourtant éveille en chacun des échos divers. L'angoisse de la musique est à son comble, ses élans sont brisés par des chutes profondes, suivis d'élans plus désespérés. Son infini lumineux, ses mystérieuses ténèbres, pour le vieillard ce sont les vastes spectacles de la vie et de la mort, pour l'enfant les promesses pressantes de la mer et de la terre, pour l'amoureux, c'est l'infini mystérieux, ce sont les lumineuses ténèbres de l'amour. Le penseur voit sa vie morale se dérouler tout entière ; les chutes de la mélodie défaillante sont ses défaillances et ses chutes, et tout son cœur se relève et s'élance quand la mélodie reprend son vol. Le murmure puissant des harmonies fait tressaillir les profondeurs obscures et riches de son souvenir. L'homme d'action halète dans la mêlée des accords, au galop des vivaces ; il triomphe majestueusement dans les adagios. La femme infidèle elle-même sent sa faute pardonnée, infinisée, sa faute qui avait aussi sa céleste origine dans l'insatisfaction d'un cœur que les joies habituelles n'avaient pas apaisé, qui s'était égaré, mais en cherchant le mystère, et dont maintenant cette musique, pleine comme la voix des cloches, comble les plus vastes aspirations. Le musicien qui prétend pourtant ne goûter dans la musique qu'un plaisir technique y éprouve aussi ces émotions significatives, mais enveloppées dans son sentiment de la beauté musicale qui les dérobe à ses propres yeux. Et moi-même enfin, écoutant dans la musique la plus vaste et la plus universelle beauté de la vie et de la mort, de la mer et du ciel, j'y ressens aussi ce que ton charme a de plus particulier et d'unique, ô chère bien-aimée.

Proust--doc--Madeleine-Lemaire--Hortensias-bleus.jpg 

[En exergue du texte, une citation d'Hernani, Acte V, scène 3, (Doña Sol à Hernani). Pour terminer, les hortensias bleus sont une aquarelle de Madeleine Lemaire.]

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30 mai 2013 4 30 /05 /mai /2013 18:21
L'église était pleine.
Pour un concert. Passe-temps que certains peuvent juger bien profane – n'y a-t-on pas entendu le Carnaval Romain – mais qui pourtant stimule et élève l'esprit.
Et d'ailleurs cette église n'est-elle pas placée sous le signe de la musique ? En y entrant des chanteurs de pierre nous accueillent. On me dira que Charles Bordes s'est occupé d'abord de musique sacrée, que ce sont des neumes * grégoriens que lisent les chanteurs de pierre. Peut-être, mais la réalité est plus riche que cela. Charles Bordes a vécu sa courte vie dans et pour la musique, multipliant dans le pays les ouvertures d'écoles de musique, au détriment d'une œuvre personnelle pourtant prometteuse. C'est-à-dire agissant pour rapprocher la musique des gens. Il y a là une volonté de démocratisation de l'art qu'il faut souligner.
D'autres, aujourd'hui, continuent sous des formes diverses, comme par exemple par les Rencontres Musicales de l'Est Tourangeau.
 
Mais revenons à Charles Bordes. En cette fin du 19e siècle, la Schola Cantorum était parfois étroitement nationaliste, et un Vincent d'Indy que Charles Bordes avait placé avec lui à la tête de l'institution avait des positions idéologiques inacceptables.
Mais sa musique merveilleuse (pensez à la Suite cévenole) contredit et dépasse ce qui est intolérable chez l'homme. D'Indy, le compositeur, puisant dans ses racines occitanes, vient ajouter un chatoiement à la musique française. De même Charles Bordes occupe ses nombreux voyages dans l'hexagone à collecter la musique du peuple, comme l'attestent sa Rhapsodie basque ou ses Chansons du Languedoc.
"Il sent que la vraie musique est là, celle qui part du cœur et y revient, dans un jaillissement libre et spontané de la mélodie…" (Abbé B. Bordachar, Charles Bordes et son œuvre, Pau, 1922).
Une diversité magique qui donne à la musique son universalité, sa capacité de s'adresser à tous. Comme l'autre soir, le 8 février, avec Berlioz, compositeur français par excellence, ce Carnaval Romain.
 
L'église était pleine.
Mais paraît-il, il y avait à peine une douzaine d'habitants de la commune, en plus des G.O. (les "Gentils Organisateurs", comme on dit au Club Med). Je n'ai pas compté, car la musique était là. Doit-on conclure, de cette faible présence communale, que cela ne vaut plus la peine de dépenser un centime d'euro pour ces Rencontres ? Mais ce concert avait répondu à une attente, et bien entendu, la prochaine fois les Vouvrillons y seront plus nombreux.
 
Et donc que la musique continue de vivre à Vouvray ! Ce n'est pas un vague souhait, sans substance : il s'appuie sur les réalisations remarquables de ces Rencontres Musicales de l'Est Tourangeau. L'Ensemble Carpe Diem que nous écoutions ce soir-là, en remettant à l'honneur les transcriptions, nous surprenait en donnant une proximité à de grandes œuvres symphoniques.
Leur souffle libérateur passait sur le public. Nous n'étions finalement pas si loin des neumes de Charles Bordes.
 
- - - - -
* neumes : ce sont des signes d'aspect anguleux utilisés au Moyen Age pour la notation du chant grégorien (du grec neuma, souffle). En observant le monument à Charles Bordes, vous remarquerez que ce détail a été respecté par le sculpteur. A ce propos, quelqu'un sait-il quelque chose sur l'artiste, qui signe Bruno ? Pour ma part, je n'ai pas su trouver.
 monument, 8843.
 
 
 
[Petite commémoration : ce texte est paru dans l'Autre Journal, publication de l'opposition municipale à Vouvray, en mai 2003. L'occasion en était un concert donné par les RMET, à l'église de Vouvray, le 8 février de la même année.
Les lecteurs de ce blog n'apprendront pas grand-chose sur Charles Bordes. L'article reste un peu sommaire ; du chemin a été parcouru depuis. La citation de l'Abbé Bordachar, prise hors contexte, en fait un romantique, ce qui n'est pas tout à fait juste.
Si vous voulez entendre le Carnaval Romain de Berlioz, je vous propose l'interprétation qu'en donnait l'Orchestre Symphonique de Detroit en 1959, sous la direction de Paul Paray.
Il n'y a pas eu de commentaire, ni de réponse à ma question. Il est maintenant possible de savoir quelque chose sur Médéric Bruno. BC]
 
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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 09:07

portrait, TSG, 1909, numéro spécial

Voici le 150ème anniversaire de Charles Bordes, né le 12 mai 1863.

Cela fut annoncé à Vouvray par un article dans le bulletin L'écho vouvrillon, paru fin décembre (n° 31, p. 20 et 21). Nous en avons parlé ici.

 

Il est question ici et là de ce "sesquicentenaire", et en particulier sur la page des "Commémorations nationales" sur le  site des Archives de France. On peut y lire l'article de Gilles Cantagrel. L'auteur, très sensible à la musique baroque, n'a pas manqué de signaler cet aspect trop peu souligné de Charles Bordes. Tant pour la musique sacrée que pour la musique profane, il a fait jouer des compositeurs ainsi classés. On y a vu un intérêt pour la musique française. Du nationalisme, quoi. C'est curieux. Ce ne fut jamais l'optique de Charles Bordes. La musique d'abord. Certes, on trouve Charpentier ou Rameau, mais aussi Monteverdi (il disait Monteverde), Lulli, Bach et Glück.

 

Il faut lire comment il "infligea" Atys à son ami Albéniz, selon ce que nous rapporte plaisamment Paul Dukas (La Revue Musicale, 1er août 1924) : "…à la fin de sa courte vie, quand, déjà bien souffrant, il se proposait de remettre au théâtre, à Monte Carlo ou ailleurs, l'Atys de Lulli, sa passion du moment. Dans les derniers temps il en promenait partout avec lui la partition. Il la portait sous le bras la dernière fois que je le rencontrai à Nice chez Albeniz qu'il tenta, vainement d'ailleurs, de gagner à la cause du "coquin ténébreux". Il fallut que, bon gré mal gré, le bon Albeniz, qui n'en avait pas envie, écouta deux actes d'Atys. Il aimait Bordes et se résigna. Je fus prié de tenir le piano et Bordes chanta d'un bout à l'autre ses deux actes, qu'Albeniz, écroulé sur un divan, écouta sans broncher, dans la plus morne accablement. Séance inoubliable !..." En cliquant ici, vous verrez et écouterez la "danse des zéphirs" d'Atys, et , le duo "Je veux joindre en ces lieux…"

 

Pour ces 150 ans, passons chez Monteverde, non pour une œuvre religieuse, comme les Vespro de la Beata Vergine, forcément connue de Charles Bordes, mais pour le célèbre madrigal "Si dolce è'l tormento" où l'ambivalence de la musique – douleur et joie – s'exprime si bien. En cliquant ici, vous en aurez l'interprétation de Thomas Cooley, donnée en septembre 2009 à San Francisco. Vous trouverez aisément d'autres interprétations du poème de Carlo Milanuzzi.

 Monument--chanteur-douloureux--199.JPG

 

"Sois sage, ô ma douleur…" ; le sonnet de Baudelaire vient ici à l'esprit. C'est la mélodie secrète de Charles Bordes ; elle architecture toutes les autres. Il était l'auteur – vous le savez bien – d'une quarantaine de mélodies. Nous n'en parlerons pas ici. Pour terminer cet hommage, voici  Renouveau, mélodie de Déodat de Séverac écrite pendant l'hiver de 1897 sur le rondeau de Charles d'Orléans (Le temps a laissié son manteau…). Elle est dédiée à Charles Bordes qui était son maître à la Schola. Un enregistrement a été fait des mélodies de Déodat de Séverac chez Hyperion en 1998. Elles sont chantées par François Le Roux. On peut acheter le CD ou le télécharger ou écouter gratuitement 60 secondes de la mélodie Renouveau en cliquant ici.

 

Le temps a laissié son manteau

De vent, de froidure et de pluye,

Et s'est vestu de brouderie,

De souleil luysant, cler et beau.

 

Il n'y a beste, ne oyseau,

Qu'en son jargon ne chante ou crie :

"Le temps a laissié son manteau

De vent, de froidure et de pluye."

 

Rivière, fontaine et ruisseau

Portent, en livrée jolie,

Goutes d'argent d'orfaverie,

Chascun s'habille de nouveau.

 

Le temps a laissié son manteau

De vent, de froidure et de pluye.

 

 

 

[Le portrait qui ouvre ce billet est emprunté à la Tribune de Saint Gervais, XVème année, 1909, Numéro spécial. Le chanteur douloureux (photo BC) est un détail de la sculpture de Médéric Bruno sur le monument de Vouvray dédié à Charles Bordes.]

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 18:19

Exposition-Universelle-1900--ticket.jpg

En suivant les pas de Charles Bordes, de la rue de La Rochefoucauld à la rue Saint Jacques, en passant par Nogent-sur-Marne, la rue Stanislas, sans oublier "cette rosse de caisse", nous voici à l'Exposition Universelle de 1900. Plus tard, dans un mois, dans un an, nous irons vers le sud, la place Saint Ravy, le mas Sant Genes et Maguelonne. Aujourd'hui, Paris encore, où les Chanteurs de Saint Gervais n'ont pas économisé leur énergie pendant les 212 jours de l'Exposition, d'avril à novembre.

Vous en avez vu le panorama, montré en en-tête du papier à musique sur lequel Charles Bordes avait recopié une mélodie écrite quatre ans plus tôt sur le poème de Verlaine La Chanson d'automne : "Les sanglots longs / Des violons / De l'automne / Bercent mon coeur / D'une langueur /Monotone. " L'image ne convient guère au texte.

Exposition-universelle-1900--vue-sur-en-tete.jpg

Voici encore cet en-tête, très flou car l'image est passée par bien des copies, et le rédacteur de ce blog n'a pas pu en obtenir une plus nette. Par la joie qui s'en dégage, on dirait du Guardi, une vue du Grand Canal. Sur une photo (Léon et Lévy), voici ce qu'on voyait depuis le Pont Alexandre III, en regardant à gauche, avec la Tour Eiffel dans le fond :

Exposition-Universelle-1900--vue--photo-Leon-et-Levy.jpg

 

L'Exposition Universelle de 1900 est abondamment documentée ; voyez les photos d'André Bujeaud, dans les Archives de Vendée.

Si on allait plus loin vers l'ouest, depuis le Pont des Invalides, en regardant à droite cette fois, voici ce qu'on voyait :

Exposition-Universelle-1900--Le-Vieux-Paris--b--archives-Be.jpg

C'était le Vieux Paris, ville médiévale reconstituée, Albert Robida étant l'architecte en chef. Certes, il y avait quelque chose d'un décor, comme on voit sur ce dessin de Robida,

Exposition-Universelle-1900--Vieux-Paris--construction-de-l.jpg 

mais nous ne suivrons pas certaines expressions méprisantes qu'on peut lire sur le Vieux Paris, comme "constructions de carton-pâte". Cet assemblage de tours, d'encorbellements, d'ogives, était peut-être hétéroclite, mais il faisait rêver et il a donné de la joie à des milliers de gens. On verra avec intérêt la fabrication de la maquette de l'ensemble reconstitué dans le site qui lui est consacré. On verra, en particulier, les découpages proposés par l'imagerie d'Epinal.

Vous voyez sur la photo le chevet de l'église. Une gravure nous montre la porte d'entrée principale du Vieux Paris

Exposition-Universelle-1900--Le-Vieux-Paris--entree.jpg 

et une autre le portail de Saint Julien des Ménétriers.

Exposition-Universelle-1900--Saint-Julien-des-Menetriers-.jpg

Une photo montre ce même parvis avec des mélomanes attendant un concert.

Exposition-Universelle-1900--Saint-Julien-des-Men-copie-1.jpg

Dans la Tribune de Saint Gervais, de nombreux articles parlent de l'église du Vieux Paris. En novembre et décembre 1900, on lit Les jongleurs dans l'histoire, deux longs articles de Pierre Aubry. L'église du Vieux Paris avait été nommée en l'honneur de ces "ménétriers", musiciens et aussi jongleurs. Nous avons dans ce blog évoqué "le jongleur de Notre Dame", ce moine qui exprimait son amour pour la Sainte Vierge en lançant des balles.

On sait que l'Eglise n'a jamais beaucoup aimé les théâtreux ; il y a dans cette présence à l'Exposition Universelle l'expression d'une revendication que reprend, sans l'exprimer clairement, la Schola Cantorum.

Plus tôt, et tout au long de l'année 1900, une chronique de Jean de Muris nous dit ce qui s'est fait à l'Exposition Universelle ; elle est intitulée Les petites heures de Saint Julien des Ménétriers. Le répertoire est vaste ; les Chanteurs de Saint Gervais sont entendus dans le contrepoint vocal du 16e siècle, dans les motets et histoires sacrées des maîtres de la basse continue du 17e siècle. Des noms de compositeurs apparaissent : Palestrina, Roland de Lassus, Vittoria, Carissimi, Charpentier, Du Mont, etc. Les œuvres sont pour l'essentiel de caractère religieux, et la Tribune de Saint Gervais prévient (février 1900, p. 93) : "quant aux œuvres exécutées, elles iront du chant grégorien le plus primitif à la musique religieuse moderne, même celle que la Schola Cantorum condamne comme étant peu propre à s'associer à la liturgie."

Dans le débat sur les œuvres non liturgiques à l'église, l'exécution du Messie de Haendel à Saint Eustache en décembre 1899 avait déclenché une polémique entre les journaux et l'Archevêché de Paris. Ce dernier contestait l'opportunité d'utiliser une église comme lieu de concert. La Schola était officiellement de même opinion. On lit sous la plume de G. de Boisjolin dans la Tribune de Saint Gervais de janvier 1900 : "J'avouerai que je suis toujours choqué à l'église de l'exécution de toute musique qui n'a pas sa place dans la liturgie." Et plus loin dans le même article : "...nous avons toujours fait et admis la distinction de la musique d'église et de la musique religieuse de concert."

Saint Julien des Ménétriers à l'Exposition Universelle donnait une liberté nécessaire. Ainsi Charles Bordes avait condamné le solo d'église (Tribune de Saint Gervais, février 1898) dont le but était de plaire. Mais à Saint Julien des Ménétriers, il fallait précisément plaire. Les chanteuses (Jarvis  de la Mare, "une excellente mezzo-soprano", Marie de la Rouvière, soprano) furent mises en valeur et un groupe de chanteurs solistes fut organisé sous le nom de "Scholae Cantores" (Paul Gibert, basse, Jean David, ténor, Albert Gibelin, basse). Ces derniers étaient "très appréciés" dans l'exécution des maîtres du 17ème siècle, notamment Carissimi pour sa Damnatorum Lamentatio (Plainte des Damnés), ici dans l'interprétation dirigée par Martin Gester en 2003. 

L'affiche des concerts "Les petites heures de Saint-Julien-des-Ménétriers" que reproduit Bernard Molla (thèse, Tome I, p. 47) dit bien –c'est le sous-titre – que les "auditions musicales religieuses [sont] sans caractère rituel et liturgique" ; cela assurait la liberté des musiciens.

Exposition-Universelle-1900--Saint-Julien-des-menetriers-.jpg

Ces concerts furent un succès. Bernard Molla note (thèse, Tome I, p. 49) : "Officiellement plus de 60.000 personnes se succédèrent dans cette petite église de St. Julien. Ce chiffre tout à fait remarquable prouve combien Bordes arrivait à toucher en profondeur le public parisien."

On trouve dans la Tribune de Saint Gervais (mars 1900, p. 127) une expression frappante pour caractériser ces concerts : le "Musée par l'audition". Le travail didactique continuait ; à la sortie de Saint Julien des Ménétriers, on pouvait acheter les publications de la Schola Cantorum, notamment ce qui était édité à l'occasion de l'Exposition Universelle.

Exposition-Universelle-1900--Saint-Julien-des-Men-copie-2.jpg

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22 avril 2013 1 22 /04 /avril /2013 18:53

Schola-2--c--perron-angle--BC--24-mai-12.JPG

Dès le début, le local de la Schola Cantorum rue Stanislas était trop petit. Tous le disaient. Il était, certes, indépendant des autres bâtiments et fort bien situé (boulevard du Montparnasse). Mais avec le succès de l'Ecole (10 enfants recrutés à la rentrée 1898), pousser les murs devenait impossible, même si on permettait aux jeunes scholistes de jouer dans la cour du patronage, au 11 de la rue Stanislas. Il est difficile de penser – comme il est dit quelquefois – que la décision de prendre le 269 rue Saint Jacques était une brusque lubie de Charles Bordes.

Dès la 2ème réunion pour établir les principes de la Schola Cantorum, le 15 juin 1894, Paul Poujaud était présent ; l'ami de Charles Bordes, avocat de son métier, était le conseiller juridique des activités des Chanteurs de Saint Gervais et de la Schola Cantorum. Le déménagement rue Saint Jacques était mûrement réfléchi. L'aspect financier était un problème aux solutions multiples ; outre les sommes produites par les droits d'écolage et "la maison de famille" (voir plus loin), les administrateurs de la Schola Cantorum savaient qu'ils pouvaient compter – comme auparavant – sur les dons des mécènes, de l'Archevêché au Prince de Polignac.

Charles Bordes est affectueusement surnommé le pater. Est-il le "patron" ? C'est un triumvirat qui dirige la Schola, et la célèbre photo des fondateurs est éloquente :

Schola-2--Fondateurs--SIM.JPG

Le perron, compte cinq marches, quatre sont arrondies, une est droite (celle du haut).

Schola-2--perron--BC--20-avril-13.JPG

Sur la photo historique des fondateurs, on ne voit pas la  première marche, plus bas. Alexandre Guilmant, en haut, à l'arrière, les deux pieds sur la quatrième marche du perron, est une caution, une garantie du sérieux que donne l'âge (il avait 63 ans quand la photo a été prise). Charles Bordes (37 ans ici) est concentré dans sa tâche : il tient des partitions, ouvertes, devant lui, et les lit. Seule la musique compte. Son pied droit est posé sur la deuxième marche, le gauche sur la troisième marche, mais comme il est présenté de profil, on voit peu ce déhanchement et la jambe gauche n'est que légèrement fléchie. Vincent d'Indy (49 ans), se détache à droite ; il est remarquable par son attitude conquérante, le pied gauche sur la troisième marche, le pied droit sur la quatrième, la jambe droite fléchie. Les mains sont très visibles, la gauche sur la hanche, la droite posée sur la cuisse. Il est le chef. Le billet qui lui est consacré dans ce blog souligne son emprise sur la Schola à partir de 1900.

La Schola Cantorum s'intègre au Quartier Latin. La "maison de famille" héberge ses étudiants (et d'autres, nous dit la tradition, les "personnes qu'un but sérieux amène à passer quelque temps dans le Quartier des Ecoles"). Un esprit amical y règne. Voyez, dans l'article consacré par Jean-Marc Warszawski à la Schola dans Musicologie.org, le recueil de dessins de 1903 où Charles Constantin brocarde gentiment professeurs et étudiants.

Un plan, au dos de la Tribune de Saint Gervais (décembre 1900), montre bien cet ancrage.

Schola-2--le-quartier--TSG-dec-1900--ensemble.JPG

Dans ce numéro de décembre 1900 de la Tribune de Saint Gervais, outre le discours pédagogique et idéologique de Vincent d'Indy, on trouvera le discours de rentrée d'André Hallays (du Journal des Débats), où il retrace l'histoire du quartier.  Après avoir évoqué les Bénédictins anglais dont la nouvelle Ecole occupe les lieux, il parle de Victor Hugo, enfant, aux Feuillantines, tout juste derrière la Schola. Bien que tout ait changé, un coup d'œil sur la vue aérienne dans Google Map montre ce qui reste des jardins conventuels (et la Schola n'est pas en reste). André Hallays, pour terminer, parle de César Franck qui habitait tout près, au 95 Boulevard Saint Michel (voyez avec Google Map), dont la Schola est "l'œuvre posthume". Jean de Muris, dans le numéro de septembre-octobre 1900  de la Tribune de Saint Gervais (p. 233), parle de César Franck comme le "pater seraphicus" (le Maître angélique) "de notre génération de désabusés et de cyniques".

Les locaux de la rue Saint Jacques sont décrits en détail dans différents numéros de la revue de l'année 1900, ainsi  : "Quant aux autres étages de l'aile droite, ils constituent plusieurs appartements réservés au directeur, au personnel et à la domesticité. Il s'y trouve aussi quelques chambres isolées qui peuvent également servir à des classes partielles." Charles Bordes habite à la Schola et y conserve un appartement après son départ pour Montpellier (en 1905). Dans une lettre à Alexandre Guilmant du 28 janvier 1904, Vincent d'Indy note aigrement, "Bordes sera logé à l'Ecole et une pension annuelle lui sera faite. […] Il aura donc une situation à l'abri de tout et pourra, quand il en sera capable, reprendre ses concerts de province dont le bénéfice lui restera acquis personnellement." (Vincent d'Indy, Ma vie, Journal de jeunesse, Correspondance familiale et intime, Paris 2001, p. 653).

Plusieurs photos d'Eugène Atget montrent la Schola en 1905. Il s'agit du bâtiment 18ème siècle (classé en 1961) avec le fer forgé de l'escalier et les boiseries qui disent l'élégance du lieu.

Schola-2--ancien-monastere-des-Benedictins-anglais-f--At.jpg

Une vue montre l'entrée, derrière se trouve la salle aujourd'hui appelée "Vincent d'Indy" où l'on peut accéder de l'extérieur par le fameux perron.

Schola-2--ancien-monastere-des-Benedictins-anglais-e--At.jpg

Dans une autre pièce nous sommes vraiment à la Schola : on voit un piano et des chaises et aussi l'éclairage qu'on a déjà vus sur une autre photo.

Schola-2--ancien-monastere-des-Benedictins-anglais--sall.jpg

Ces documents proviennent de la bibliothèque de l'INHA.

La Schola Cantorum existe toujours, au même endroit. Un panneau rappelle les débuts.

Schola-2--d--panneau-histoire--BC--24-mai-12.JPG

L'institution est très différente, mais il y a de la musique partout. Voyez (d'un clic).

La rénovation des locaux se termine.

Schola-2--escalier--BC--20-avril-13.JPG 

Allez-y.

Schola-2--a--exterieur--BC--24-mai-12.JPG

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16 avril 2013 2 16 /04 /avril /2013 11:21

Au coin du boulevard Montparnasse et de la rue Stanislas, une boutique, transformée en maison d'habitation, porte cette enseigne "Schola Cantorum,  Ecole de chant liturgique et de musique religieuse". D'ailleurs, le passant saurait vite la destination de ce singulier local. Car, du matin au soir, sans trêve, s'échappent des fenêtres entr'ouvertes des chants, des bruits de piano et des ronflements d'orgue.

 
C'est ici le logis de la Schola Cantorum, qui n'est point inconnue des lecteurs des Débats et dont on leur a déjà dit le but et les œuvres. Aujourd'hui, l'entreprise a grandi ; une école nouvelle vient d'être fondée. Mais, avant de pénétrer dans cette maison d'art et de foi, laissez-moi vous conter la genèse de la Schola.

Il y a quatre ans, quelques artistes et quelques religieux s'assemblaient dans la salle de la maîtrise de l'église Saint-Gervais et Saint-Protais et discutaient des meilleurs moyens de rendre à la musique religieuse sa pureté et son éclat primitifs. Ils avaient été convoqués et réunis par M. Charles Bordes, chef de la Compagnie des Chanteurs de Saint-Gervais et qui nous avait déjà révélé par de remarquables exécutions les magnificences de la musique chorale du seizième siècle. M. Guilmant, l'admirable organiste, et M. Vincent d'Indy donnaient à l'œuvre l'appui de leur talent et de leur autorité. Musiciens et ecclésiastiques étaient pleins de belles indignations et de nobles desseins : ils voulaient chasser des églises la musique profane ; ils flétrissaicnt les organistes qui travestissent des cantilènes d'opéras en motifs d'offertoire et les maîtres de chapelle qui adaptent les paroles liturgiques à des chœurs de théâtre ; ils réclamaient pour l'exécution du plain-chant le retour aux traditions grégoriennes et l'application des principes fixés par les bénédictins de Solesmes ; ils célébraient aussi les beautés de la musique palestinienne et rêvaient la création d'une musique religieuse moderne qui respectât le texte et l'esprit de la liturgie… Et M. Bourgaud-Ducoudray définissait ainsi l'œuvre à accomplir : "Construire un temple à la place d'un casino." Déjà l'on parlait de faire des éditions nouvelles, d'organiser des exécutions, d'ouvrir des écoles... Les musiciens proposaient, proposaient toujours ; et les ecclésiastiques approuvaient, les uns avec enthousiasme, les autres vaguement intimidés. Ils furent charmants, les débuts de cette petite Eglise. Ces premières réunions se tenaient dans une jolie salle ogivale dont les murailles disparaissaient sous les partitions amoncelées ; un jour pâle se glissait à travers les meneaux des vitres poudreuses. Quelque chose d'apostolique flottait sous la vieille voûte gothique. Et ce furent les catacombes, les joyeuses catacombes de la Schola.

 

Il a levé, le grain que ces artistes jetaient alors à pleines mains avec une ardeur un peu téméraire. M. Charles Bordes, artiste missionnaire, qui, à son grand amour de la musique, joint un dévorant besoin d'agir, de convertir, d'instruire et d'organiser, a mis la main sur toutes les bonnes volontés qui s'offraient et voici qu'aujourd'hui le programme conçu en 1894 est, presque tout entier, réalisé.

Depuis quatre ans, une Revue, la Tribune de Saint Gervais, publie des études spéciales pour exposer et défendre les principes de la Schola, en même temps qu'elle rend compte des efforts tentés de toutes parts pour la rénovation de la musique religieuse. M. Bordes a voyagé par toutes les provinces de France afin d'éveiller le zèle des prêtres et des maîtres de chapelle et les exciter à créer des maîtrises modèles partout ; il a réussi aujourd'hui, presque toutes les grandes villes de France possèdent une Schola à l'image de celle de Paris. Puis de jeunes musiciens se sont mis à la tâche, ils ont écrit des motets et des pièces liturgiques d'un caractère vraiment religieux. Enfin, une Ecole de musique a été ouverte dans le local de la rue Stanislas; elle prospère ; elle compte quarante élèves. Les principaux professeurs sont : MM. Guilmant, Vincent d'Indy, Charles Bordes et le R. P. Chauvin, bénédictin du prieuré de Paris. C'est un merveilleux foyer d'enthousiasme artistique. On y apprend la musique, et on l'apprend bien : les noms des professeurs en sont garants. Mais, ici, les maîtres donnent à leurs élèves une leçon plus précieuse encore pour de futurs artistes : ils leur enseignent, par l'exemple, le dévouement, le désintéressement. Car, ai-je besoin de le dire ? ces artistes font aux jeunes gens de la Schola largesse de leur temps et de leurs conseils.

Mais, une fois cette Ecole en pleine prospérité, M. Bordes ne s'est point tenu pour satisfait. Il est bien tard pour commencer l'éducation musicale d'un jeune homme à seize ou dix-sept ans. Il fallait donc, à côté de cet enseignement supérieur de la musique, organiser, d'après des principes analogues, une école primaire pour les enfants. Et voici comment M. Bordes a mené à bien cette nouvelle entreprise.

 

Pendant des mois, il a parcouru la France (il a même poussé jusqu'en Belgique) pour découvrir des enfants de dix à treize ans dont la voix fût  belle et dont le goût pour la musique fut certain. Puis il a demandé aux parents, des artisans ou des ouvriers, pour la plupart, de lui confier leurs petits garçons, prenant l'engagement de les loger, de les nourrir et de leur apprendre la musique sans aucune rétribution. Il a, de la sorte, fait venir à Paris une douzaine d'enfants : c'est tout ce que peut contenir la maison de la rue Stanislas. Un prêtre, ancien maître de chapelle à Saint-Front de Périgueux, surveille les gamins. Un instituteur leur enseigne l'orthographe, l'histoire et le calcul. M. Bordes, aidé des meilleurs élèves de la Schola, leur apprend à chanter et à jouer de l'orgue ; ils ont encore des leçons de piano et de violon !

Ces enfants, venus des quatre coins de la France, sont là depuis quelques jours seulement et déjà leurs voix d'une exquise pureté font merveille. On les peut entendre le jeudi matin à la chapelle du patronage de Nazareth, boulevard Montparnasse, ou bien, le dimanche, à l'église anglaise de l'avenue Hoche.

 
Et, naturellement, M. Bordes ne s'en tiendra pas là ; dans deux ou trois ans, ses enfants chanteurs seront hors d'état de chanter dans aucune maîtrise car ils auront atteint l'âge où la voix mue. Alors, M. Bordes rêve d'ouvrir soit à la campagne, soit dans une ville de province une sorte d'école secondaire où il achèvera de les instruire et de former leur goût. Puis on s'occupera de les placer comme organistes ou maîtres de chapelle, soit dans des communautés, soit dans des paroisses. Les élèves les mieux doués seront seuls ramenés à Paris où ils suivront tes cours de la Schola. Et, quand cela sera fait, soyez assuré M. Bordes ne se reposera pas. Il ne se reposera jamais.

 

Il élargira son œuvre et toujours, avec cette insouciance des réalités pratiques qui force la chance, il réussira. Sans doute, il a contre lui la malveillance de quelques musiciens qui considèrent comme une offense le succès d'une œuvre désintéressée. Mais, à ses côtés, il a les plus nobles et les plus généreux artistes de ce temps-ci. Puis il possède, comme nul autre, le don de captiver et de retenir les bonnes volontés qui passent. Il communique même aux indifférents son imperturbable optimisme. Le charme de sa bonté est irrésistible. Déjà, une générosité anonyme lui a permis de recueillir et d'instruire sa petite "maîtrise d'enfants chanteurs". Il attend avec confiance d'autres dons qui, selon lui, ne peuvent manquer de venir et qui viendront. Et ainsi s'augmentera la troupe des gentils bambins qui remplissent leurs voix fraîches les salles un peu étroites de la petite école, joyeux et rieurs comme les apprentis qui, sous le porche de l'église de Nuremberg, saluent Sachs et conspuent Beckmesser.

 

monument, plâtre, 1930-206-1 a 

[On vient d'attirer mon attention sur ce texte du JDD – pardon ! – du Journal des Débats du vendredi 11 novembre 1898. Il m'a paru intéressant de vous le présenter ici. C'est un extrait du feuilleton "En flânant". Il n'est pas signé mais il a été écrit par André Hallays qui rédigeait cette chronique hebdomadaire. Il fera un discours à l'inauguration de la Schola Cantorum rue Saint Jacques, et nous en reparlerons.

Ici, il parle de la Schola rue Stanislas et de son projet de rénovation du chant liturgique. Nous ne parlons guère dans le blog de cet aspect de l'action de Charles Bordes, et il fallait lui donner une place. Le Journal des Débats est conservateur et c'est en quelque sorte une image d'Epinal pédagogique que nous avons. On y trouve des clichés concernant l'harmonie sociale et l'idéalisme de Charles Bordes.

Vous qui venez de lire le billet consacré à la Schola de la rue Stanislas, vous verrez qu'en passant – en flânant – l'article évoque "ce singulier local".  Nous en ressentons l'exiguïté qui contraste avec l'ambition de son "pater".

Ceux qui connaissent Die Meistersinger von Nürnberg reconnaîtront la volonté de renouveau voulue par Sachs que Wagner oppose au pédant critique Beckmesser. Ce renouveau était aussi voulu par Charles Bordes qui par ailleurs avait fait plusieurs fois le voyage de Bayreuth.

Merci à Gallica pour le texte ; j'ai tenté de le réviser au mieux afin qu'il soit lisible.

La photo a été faite dans la réserve du Musée des Beaux Arts de Tours et montre le plâtre des chanteurs du monument de Vouvray, la sculpture de Médéric Bruno, recouverts de la poussière des ans. Elle a été prise en janvier 2010.]

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10 avril 2013 3 10 /04 /avril /2013 13:35

Schola-1--Gare-Montparnasse--22-octobre-1895.jpg

Ne soyez pas surpris de trouver dans le blog cette photo très célèbre de la locomotive sur la façade de la Gare Montparnasse, fin octobre 1895. Voici ce que nous dit René de Castéra sur la première Schola dans Dix ans d'action musicale (La Tribune de Saint Gervais, février 1901, p. 50) : "Charles Bordes se mit donc en quête d'un local ; un pur hasard lui fit découvrir celui de la rue Stanislas, où devait être fondée l'Ecole. Depuis quelque temps déjà il fouillait en vain divers coins de Paris quand, un jour, il fut attiré par le spectacle surprenant de cette locomotive qui, après avoir traversé la gare Montparnasse, s'était abattue sur la place, en contrebas de celle-ci, sans avoir réussi à descendre la rue de Rennes ; l'encombrement dû à cet accident l'obligea à prendre le boulevard Montparnasse, et c'est ainsi qu'il aperçut à l'angle de ce boulevard et de la rue Stanislas un petit immeuble à louer, adossé à la chapelle du patronage de Nazareth ; l'ayant visité, il se rendit compte qu'il était bien approprié aux débuts de l'Ecole et il le loua."

Le texte ne le dit pas, mais on imagine aisément l'émotion de ce grand utilisateur des chemins de fer qu'était Charles Bordes. L'accident ferroviaire de la gare de l'Ouest (c'était son nom officiel) a eu lieu le 22 octobre 1895. La locomotive resta 4 jours suspendue avant d'être dégagée. Cliquez ici, si les trains vous passionnent aussi.

La création de l'Ecole avait été décidée dans le bureau de La Tribune de Saint Gervais, rue François Miron, au cours de réunions le 6 et le 15 juin 1894 (cf Bernard Molla, Thèse, Tome I, p. 67 et suivantes). Dans une lettre à André Pirro du 5 mars 1896, Charles Bordes écrit : …nous venons de signer notre bail pour notre école de musique religieuse sise 15, rue Stanislas près ND des Champs. (cf Bernard Molla, Thèse, Tome III, p. 130). Dans une autre lettre, il dit que le loyer doit être donné à M. Trouille, représentant légal du Patronage. C'est la date du mois de mars 1896, très importante, que cite René de Castéra en l'attribuant par erreur au fameux accident de la locomotive.

On lit, dans la Tribune de Saint Gervais (mars 1896, p. 42) : "…la Schola Cantorum vient de louer un immeuble, situé à Paris, 15 rue Stanislas, à l'angle du boulevard Montparnasse. C'est un corps de logis absolument indépendant, ayant façade sur la rue et sur le boulevard, parfaitement aménagé pour les classes, études, conférences, répétitions particulières, la bibliothèque." C'est une présentation fort riante d'un local dont l'exiguïté était la caractéristique. René de Castéra note (La Tribune de Saint Gervais, février 1901, p. 51) : "le local était assez restreint, n'ayant qu'un seul étage. Ce corps de logis, qui n'avait d'autre avantage que d'être absolument indépendant, put contenir au rez-de-chaussée un bureau d'édition, le cabinet du directeur, le secrétariat et 3 classes ; puis au premier étage, auquel on accédait par un petit escalier en colimaçon, une autre classe servant de bibliothèque et l'appartement de M. Bordes." Ce dernier y aménagea en avril 1896. Dans une lettre à André Pirro du 21 avril 1896, il écrit : "Pardonnez-moi mon silence ;  je peins, je plombe, je cogne, je colle ; mes ouvriers sont d'une lenteur désespérante et je déménage après-demain." Sans doute Charles Bordes allait-il quitter son entresol de la rue La Rochefoucauld.

Pour la 3e année de la Schola (1898-1899), avec le succès de l'Ecole, dix enfants furent recrutés. René de Castéra écrit : "La Schola leur donna un enseignement gratuit, et aussi la nourriture, le logement, etc. A cet effet il fallut de nouveau transformer le local de l'Ecole ; de l'appartement de M. Bordes (dont la chambre avait dû être réparée, une poutre ayant pris feu sous le foyer de la cheminée) on fit le dortoir des enfants, avec, à côté, la chambre de leur directeur et le réfectoire."  

Les lecteurs comprendront pourquoi nous donnons tous ces détails : il ne reste plus rien de la première Schola. Même le 15 rue Stanislas n'existe plus. Il y en a une image (non sourcée, est-elle crédible ?) sur une feuille paroissiale montrant l'église en 1875. En scrutant, on voit sur la droite un bâtiment à un étage qui aurait pu abriter la Schola Cantorum :

Schola-1--gravure--ND-des-C-en-1875--detail.jpg

Actuellement, voici ce que l'on voit depuis le square Ozanam :

Schola-1--15-rue-Stanislas--BC--26-fevrier-13.JPG

ou bien en allant plus au fond du square :

Schola 1, Square Ozanam, boudichouti, 761850461

A droite, c'est l'église Notre Dame des Champs, dont nous allons reparler. On n'est pas très loin de la Tour Montparnasse, visible sur cette photo de la rue Stanislas, juste en arrivant au n° 15 :

Schola-1--emplacement--BC--26-fevrier-13.JPG

Derrière nous, séparé de la première Schola par ce qui est aujourd'hui la rue Péguy, se trouvait le Patronage de Nazareth et sa chapelle.

Reste de cette fin du 19e siècle l'église Notre Dame des Champs, ici sur une carte postale de l'époque :

Schola-1--ND-des-Champs-vers-1900.jpg

Lorsque la Schola Cantorum s'est installée, l'église, terminée par l'architecte Léon Ginain en 1876, avait tout juste 20 ans. L'orgue avait été commandé à Aristide Cavaillé-Coll, dont les ateliers étaient tout près, avenue du Maine, et qui était paroissien de Notre Dame des Champs. Alexandre Guilmant ne pouvait qu'apprécier le fait, et c'est un petit orgue du même facteur qu'il a installé à la Schola pour la rentrée 1898. Guilmant, avec César Franck, Charles Gounod, etc. avait fait partie du jury, en 1877,  pour la désignation du premier organiste de l'église, l’alsacien Auguste Andlauer.

Actuellement, à l'emplacement de la première Schola, un bâtiment style années 30 occupe l'angle de la rue Stanislas et du boulevard (n° 93).

Schola-1--immeuble-93-Boulevard-du-Montparnasse.jpg

Il a abrité pendant de nombreuses années la Direction de l'Aviation Civile. Puis la Ville de Paris lui a donné une autre destination, non résolue à cette date. Si cela vous intéresse voyez d'un clic ce qu'en dit la Ville le 17 octobre 2011, le Maire UMP du 6e arrondissement, Le Figaro, ou L'Humanité.

Les articles de René de Castéra sous le titre Dix ans d'action musicale, dans la Tribune de Saint Gervais en 1900 et 1901, parlent des débuts de la Schola Cantorum. Leur lecture fait revivre ces fantômes. Avant que nos pas nous conduisent vers la rue Saint Jacques, notre dernier regard vers cette première Schola tombe sur les crocus du square Ozanam, photographiés en février 2013.Schola 1, crocus square Ozanam, BC, 26 février 13

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3 avril 2013 3 03 /04 /avril /2013 10:36
Saint-Gervais--facade--CP-ancienne.jpg
C'est autour de l'église Saint Gervais que la stature de Charles Bordes est formée. C'est par là qu'il est traditionnellement le plus connu.
Il faut bien voir qu'il y a trois choses différentes : l'église Saint Gervais-Saint Protais dont il est Maître de chapelle, les Chanteurs de Saint Gervais, ensemble créé par lui, qui chante dans l'église du même nom, mais ne dépend pas d'elle, et enfin la revue La Tribune de Saint Gervais qui par la suite prolongera l'action de Charles Bordes, notamment dans le cadre de la Schola Cantorum.
C'est de l'église, appelée souvent "l'église des Couperin" dont nous parlerons surtout ici, dans ce billet qui évoque une autre face du "Paris de Charles Bordes".
La thèse de Bernard Molla décrit abondamment l'action liturgique de Charles Bordes et on lira avec intérêt les pages qui y sont consacrées (Thèse, Tome I, p. 17 et suivantes).
Aidé par le curé de Nogent-sur-Marne, l'Abbé Ferdinand, Charles Bordes fut présenté au Chanoine de Bussy, curé de Saint Gervais, qui le fit nommer Maître de chapelle en mars 1890. René de Castéra, dans Dix années d'action musicale (Tribune de Saint Gervais, mars 1900, p. 77), décrit la communion entre le musicien et le bâtiment : "Sa première visite, avant de faire sa demande,  fut pour l'église, et nous lui avons entendu raconter bien souvent combien il fut saisi par la hardiesse de la nef entrevue derrière l'autel par une journée basse et pluvieuse de mars qui laissait errer sous la voûte des vapeurs violettes. "Quel beau vaisseau pour faire de la musique !" s'écria-t-il ; dès lors
Saint-Gervais--nef--W.jpgla vieille âme de la pierre avait parlé à l'âme de l'artiste, et de leur communion devaient sortir un jour des flots d'harmonie." (Ce passage est également cité par Bernard Molla, Thèse, Tome I, p. 17.)
L'orgue vénérable et sa tribune
Saint Gervais, orgue, CP, Mona éditeur
s'imposent aussi au regard du musicien. Plusieurs fois restauré, il le sera en 1909, par la maison Merklin, après l'avis d'Alexandre Guilmant.
Charles Bordes quitta cet emploi, expulsé en quelque sorte, en mai 1902. Il y a donc été Maître de chapelle pendant 12 ans. Le goût du public et le climat musical reflété par les fabriques des églises, allait vers une musique plus facile et plus mondaine. Alexandre Guilmant, à la Trinité depuis 1871, perdit à la même époque son siège d'organiste pour avoir joué des œuvres jugées trop sévères.
Revenons à l'extérieur. Venant par la rue François Miron, l'église apparaît à gauche.
Saint Gervais, rue François Miron, juin 12, BC 
On voit aussi les marches au pied de la maison des Couperin. D'autres personnages illustres y eurent un appartement et Ledru Rollin y naquit en 1825.
Sur la place, devant l'église, il y a le fameux orme, ici sur une gravure ancienne.
Saint Gervais, orme, gravure ancienne 
C'était un lieu traditionnel de Paris. Des hommes y attendaient qu'on loue leurs services, c'est là que l'on payait des loyers, des dettes ; quelquefois on se défilait, d'où l'expression par antiphrase passée dans la langue : "Attends-moi sous l'orme." pour dire que l'on ne paiera pas.
L'orme d'aujourd'hui (qui date quand même, malgré la maladie, de 1935) porte une notice qui rappelle ce passé.
Saint-Gervais--orme--juin-12--BC.JPG
En se retournant on voit la façade baroque de l'église Saint Gervais.
Saint-Gervais--Saint-Protais--facade--W.jpg
A l'intérieur, une plaque, dans une chapelle de gauche, évoque la présence et l'action de Charles Bordes.
Saint Gervais, plaque CB, mars 09, BC 
Dès juin 1890, Charles Bordes a voulu marquer la fête de Saint Gervais et Saint Protais (le 19) par la Messe à trois voix (en la majeur) de Franck avec César Franck lui-même à l'orgue. Le disciple rendait ainsi hommage à son maître.
Le groupe choral "Les Chanteurs de Saint Gervais" a été rapidemennt constitué, formé de professionnels et d'amateurs (cf Bernard Molla, Thèse, Tome I, p. 28 et suivantes).
Saint-Gervais--Bordes-et-ses-chanteurs--BM-p.22.jpg
La photo, qui montre Charles Bordes dirigeant ses chanteurs dans l'église Saint Gervais, est empruntée à la thèse de Bernard Molla, Tome I, p. 22. Les chœurs étaient disposés dans les chapelles ou dans les tribunes du transept. Ils étaient invisibles aux fidèles. L'un était dirigé par Charles Bordes, l'autre par Julien Tiersot.
La Messe posthume (en ut mineur, opus 147) de Schumann sera donnée le 8 février 1891 (en cliquant ici, écoutez-en le kyrie chanté par le Kölner Kammerchor) et deux mois plus tard (26 mars 1891) le Stabat Mater de Palestrina et le  Miserere d'Allegri. On trouvera dans la thèse de Bernard Molla les affiches de ces concerts reproduites, comme (p. 21) celle que nous donnons ici.
Saint-gervais--Stabat--affiche--BM-p.21-copie-1.jpg
En cliquant ici, vous entendrez le Stabat Mater de Palestrina chanté en octobre 2011 par le Taverner Consort et en cliquant , le  Miserere d'Allegri chanté en février 2012 par l'ensemble A Sei Voci.
Saint Gervais marque un ancrage parisien important pour Charles Bordes. Comme on sait, c'était un grand voyageur, souvent en chemin de fer. Avec les Chanteurs de Saint Gervais, paradoxalement, il a parcouru toute la France. Voyez, dans la thèse de Bernard Molla (Tome I, chapitre 5, pp. 177-219) la liste de ces voyages de propagande et cette extraordinaire carte de France des villes visitées. Charles Bordes parle des villes "évangélisées", mais il s'agit – les lecteurs de ce blog l'auront compris – de musique avant tout.
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18 mars 2013 1 18 /03 /mars /2013 08:28

On conçoit aisément que Charles Bordes cherchait à s'éloigner de la Caisse des Dépôts et Consignations, " cette rosse de caisse" qui l'empêchait de faire de la musique (voir Bernard Molla, thèse,Tome III, p.23). C'était seulement un gagne-pain. Il "se morfondait en des travaux de chiffres" selon l'expression de Georges Servières dans sa notice nécrologique (SIM, déc. 1909, p. 988).

Il fallait à Charles Bordes un métier qui corresponde à ses goûts et à ses aptitudes. Le 10 juillet 1887,  il obtient l'emploi d'organiste et maître de chapelle à l'église de Nogent-sur-Marne, Saint Saturnin (ici sur une carte postale ancienne, vers 1900). Il a 24 ans.

Nogent-sur -Marne, église St Saturnin, vers 1900Il y restera près de trois ans, de juillet 1887 à mars 1890. Bernard Molla (Tome II, p. 481) souligne "l'incertitude de l'avenir". L'organiste précédent à St Saturnin ne donnait pas satisfaction et avait été remercié par le Conseil de Fabrique en octobre 1886.

C'est le premier emploi de Charles Bordes directement lié à ce qu'il mettait au-dessus de tout, la musique. (Sur ce sujet, voyez le premier billet de ce blog "Madrigal à la musique", mélodie sur un poème de Shakespeare traduit par Maurice Bouchor.)

Nogen-sur-Marne, vers 1870, GéoportailD'après la Carte d'Etat Major rehaussée à l'aquarelle, 1820-1866 (sur Géoportail), voici Nogent-sur-Marne, à l'Est du bois de Vincennes, avec la ligne de chemin de fer et la gare. Depuis Paris, on y va aisément par la ligne de la Bastille. Sur une carte postale de l'époque, on voit la gare que Charles Bordes connaissait.

Nogent-sur-Marne, la gare bCharles Bordes ne peut être associé au canotage ou aux guinguettes (encore que par la suite, Yvette Guilbert, qui avait chanté Fleur de berge, participera aux Chansons de France, sous le patronage de la Schola Cantorum), mais il a bénéficié de la facilité de se rendre à Nogent par le chemin de fer, lié au développement des loisirs de masse dans la deuxième moitié du 19e siècle.

 

Dans l'église St Saturnin, il est le deuxième à utiliser l'orgue, installé en 1883 par les frères Stoltz.

Nogent-sur-Marne--St-Saturnin-W.jpg

Il est composé de 9 jeux sur 2 claviers de 56 notes et d'un pédalier de 30 notes.

Nogent-sur-Marne, St Saturnin, orgue aLa photo le montre aujourd'hui. On verra plusieurs autres photos sur le blog de Michèle Gabriel. Il a été "relevé" plusieurs fois, notamment par Cavaillé Coll en 1901.

De la tribune de l'orgue, voici la vue que l'on peut avoir de la nef.

Nogent-sur-Marne, St Saturnin, l'église depuis l'orgueCet emploi oriente Charles Bordes vers la musique liturgique où il donnera toute sa mesure ensuite, à St Gervais (à partir de mars 1890) et à la Schola Cantorum (à partir de juin 1894).

 

Parlant de la période de Nogent, Octave Seré note (Musiciens français d'aujourd'hui, 1915, p.37), "Ces fonctions nouvelles lui permirent de s'abandonner avec une ardeur plus vive à son goût pour la musique et la composition."

La musique populaire (basque en particulier), la musique de la Renaissance et du Baroque, resteront des sources d'inspiration. Et il continuera à composer des mélodies sur la poésie de son temps. Son activité musicale "profane" a continué. En voici quelques signes, de manière non exhaustive.

 

Deux de ses mélodies (sur des poèmes de Verlaine) y ont été composées, comme l'indique le recueil de 1914 réalisé par Pierre de Bréville : Epithalame en 1888 et La bonne chanson en 1889. La première est dédiée à Alfred Ernst, spécialiste de Berlioz et surtout de Wagner et qui écrivait dans Le Ménestrel et La Vie Contemporaine. Il est clair que Charles Bordes tenait à se faire connaître dans le monde musical. Quatre ans plus tard, Charles Bordes demanda à Alfred Ernst de convier de sa part Paul Verlaine (comme Ernst, il était rédacteur à La revue wagnérienne) à assister à la Semaine Sainte de St Gervais où il entendrait "de la bonne musique". Nous avons expliqué ici pourquoi il est peu probable que Charles Bordes et Paul Verlaine se soient rencontrés.

En 1887, il écrit peut-être une mélodie sur le poème Green de Paul Verlaine, mais elle n'a pas été retrouvée pour le moment (c'est " la mélodie introuvable" de Ruth L. White).

En 1888, Charles Bordes commence à travailler à la mélodie sur le poème

Le son du cor s'afflige vers les bois, où il imagine des "rimes musicales" pour rendre "la musique avant toute chose" de Verlaine. C'est seulement en 1896, huit ans plus tard, que cette mélodie sera achevée.

En 1890, avant de quitter Nogent-sur-Marne, Charles Bordes écrit ce chef-d'œuvre qu'est cette mélodie sur Dansons la gigue! (créée le 21 avril 1890).

 

Plusieurs œuvres instrumentales ont été composées pendant la période de Nogent-sur-Marne, notamment la Suite basque en 1887 (audition à la S.N.M. le 21 janvier 1888), et la Rapsodie basque en 1888-89 (audition à la S.N.M. le  27 avril 1889).

Charles Bordes avait été bouleversé en entendant la chanson basque Choriñoak kaiolan en 1885 (voir dans ce blog en cliquant ici).

Le thème en apparaît dans les deux pièces mentionnées. La musique basque apparaît aussi dans son écriture en 1888 de l'ouverture pour le drame Errege Jan (Le Roi Jean).

En 1889 le Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-arts lui confie une mission de collectage au Pays Basque, mission qui sera renouvelée en 1890.

 

Parlant de la période de Nogent-sur-Marne, Georges Servières, cité plus haut, dit de Charles Bordes "ce petit maître de chapelle inconnu". Nous voyons que cette expression doit être plus que nuancée. Pendant cette période de Nogent-sur-Marne, Charles Bordes a montré qu'il avait l'étoffe d'un grand compositeur.

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13 février 2013 3 13 /02 /février /2013 16:25

Un des premiers domiciles de Charles Bordes à Paris était rue de La Rochefoucauld. Depuis l'automne 1883, il y occupait un appartement en entresol avec son frère Lucien. Pour le moment, il n'est pas possible de dire avec exactitude à quel numéro.

On y faisait beaucoup de musique. Charles Bordes et son frère (violoncelliste à l'Opéra de Paris) recevaient leurs amis. César Franck passait, et les autres, d'Indy, Fauré, Chausson, etc. Il y avait aussi Marie-Léontine Pène, 1er prix de piano au Conservatoire en 1872, qui épousera Lucien. Le témoignage de Gustave Samazeuilh, dans son article sur Eugène Ysaÿe (Courrier Musical, 1er juin 1931), décrit ce "joli temps pour l'Art et les artistes" : "on commençait à quatre heures du soir pour finir à deux heures du matin. On ne s'interrompait que pour aller dîner joyeusement en bande à La truie qui file ou dans un débit-restaurant de la rue de La Bruyère."

Aux Archives de Paris, j'ai suivi studieusement les calepins du cadastre pour 1884. Pour chaque immeuble, il y a de nombreux locataires, mais ils n'y sont pas tous et le nom de Charles Bordes n'apparaît pas. Au n° 60, vingt ans plus tôt, un appartement d'entresol était occupé par Damké, défini comme "artiste musicien" ; il était proche de Charles Lamoureux. Les entresols étant peu nombreux rue de La Rochefoucauld (trois ou quatre), c'est peut-être là que vivait Charles Bordes.

Dans une lettre à Jules Chappée du 23 novembre 1883, citée par Bernard Molla dans sa thèse (Tome III, p. 26),  il décrit son agacement, car il voudrait plutôt composer : "…flûte, ce sont des colis venant de Belgique qui viennent m'assaillir et aide de tapissier j'ai passé la journée entière à pendre des assiettes et des tableaux." Il évoque ensuite la possibilité d'un mariage, dans une vision traditionnelle du couple où ce n'est pas lui qui aurait à s'occuper de ces basses tâches matérielles : "J'ai un fol désir de me marier jeune pour que ma compagne me décharge de tout cela." Dans une lettre non datée mais postérieure, adressée au même ami, Charles Bordes montre un peu sa vie quotidienne, d'une grande simplicité, dans un logement de taille modeste : "Si je n'avais pas eu mon frère et ma belle-sœur chez moi, je t'aurais demandé de venir partager mon huis, quelques jours. Ma concierge y fait la popote pas trop mal et on y est bien couché." (B. Molla, thèse, Tome III, p. 23)

La rue de La Rochefoucauld était bien située. C'était peut-être le "quartier St Georges" du 9e arrondissement, mais c'était surtout une rue de la Nouvelle Athènes, quartier parisien où habitaient, depuis l'époque romantique, acteurs et actrices, musiciens, écrivains, peintres. La population s'était diversifiée à la fin du siècle. Certes, il y avait Gustave Moreau au 14. Un peu par provocation, nous avons donné dans ce blog une

de ses œuvres "abstraites", et il y en a d'autres, comme cette étude :

Moreau--Gustave--etude-abstraite.jpg

Il y avait aussi (au 4 bis et au 6) le marchand d'art Sedelmeyer. Il avait exposé dans sa galerie puis vendu (cher) l'Angélus de Millet en 1889.

Angelus--Millet--c.jpg

On trouvait aussi dans cette rue le siège d'une aciérie et celui des Chemins de fer algériens de l'Ouest…

 

En 15 minutes, Charles Bordes pouvait descendre facilement au Conservatoire de Musique, rue Bergère. En chemin, en bas de la rue à droite, il y avait depuis 1867 la très curieuse église de la Trinité, ici sur une carte postale du début du 20e siècle :

Trinité

Charles Bordes l'a nécessairement fréquentée : l'orgue Cavaillé-Coll, installé en 1868, était tenu par Alexandre Guilmant suppléé par Fernand de la Tombelle.

Quelques années plus tard, Guilmant sera avec Vincent d'Indy et bien sûr Charles Bordes un des fondateurs de la Schola Cantorum. Quant à Fernand de la Tombelle, il est, lui aussi, à la Schola dès le début, et y enseigne l'harmonie.

Les curieux, les promeneurs peuvent remonter, puis descendre cette rue et scruter les façades.

rue-de-la-Rochefoucauld--IMG_0548.JPG 

Il existe plusieurs guides, et les fantômes sont nombreux dans cette rue de la Nouvelle Athènes (au n° 19, Delacroix rendant visite à sa maîtresse ; au n° 25, Volney, l'auteur des Ruines, et aussi les orphelins ; au n° 66, Hugo écrivant L'année terrible ; etc.). A l'angle de la rue ND de Lorette, il y avait un petit marché en 1884. Charles Bordes le connaissait certainement. Au même endroit, aujourd'hui, un grand commerce propose les fruits, les légumes, l'épicerie, etc. 

 

D'autres lieux de Paris étaient parcourus par Charles Bordes. Bientôt nous nous arrêterons avec lui près de l'orme, au bout de la rue François Miron, pour contempler une façade baroque.

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