[Cette semaine, le bulletin municipal vient d'être mis entre les mains des Vouvrillons qui le compulsent fébrilement pour tout savoir (ou presque) sur leur commune.
Comme le montre la couverture, il y est beaucoup question du 20e anniversaire du jumelage entre Vouvray et le village allemand de Randersacker (à 120 km à l'ouest de Bayreuth), mais, pour ce premier numéro de 2013, le Rédacteur de ce blog a écrit quelques lignes pour présenter Charles Bordes à tous.
Les voici.
Elles n'apprendront rien à ceux qui fréquentent ce blog, mais elles forment un résumé qui peut être utile.
Vous connaissez aussi les photos ; le bulletin, compte-tenu de la place disponible les a disposées ici et là.
Le titre qui avait été choisi et que je garde pour ce billet n'est qu'un sous-titre dans le bulletin, où on lit en grosses lettres : "Un monument vouvrillon, une histoire".
Soit.
Mais c'est d'abord de Charles Bordes qu'il s'agit. Et de la musique.]
L'année 2013, ce seront les 150 ans de la naissance de Charles Bordes. C'est à la Bellangerie qu'il a vu le jour le 12 mai 1863. Son père, Frédéric Bordes, était le Maire de Vouvray. Il est mort en 1875. La propriété, dévaluée par le phylloxéra, a été vendue en 1879 et la famille est allé vivre à Paris. Après une scolarité à l'école Albert-le-Grand, chez les Dominicains d'Arcueil, Charles Bordes a étudié la musique auprès de Marmontel et de César Franck. Il était nourri par la musique. Sa mère, connue sous le nom de Marie de Vouvray, avait composé des romances souvent chantées dans les salons ; une d'elles s'intitulait "L'Heure des Rêveries", tout un programme ! Avec elle, il était allé en Allemagne. Comme toute une génération, il était marqué par la musique de Wagner, et plus tard, il fit à plusieurs reprises le voyage de Bayreuth.
Après la mort de sa mère en août 1883, Charles Bordes a travaillé un temps à la Caisse des Dépôts, mais il a obtenu en 1887 l'emploi de Maître de Chapelle à Nogent-sur-Marne, puis en 1890 à Saint Gervais à Paris, la fameuse église des Couperin. Il s'est attaché à animer les Chœurs de St Gervais, et à rechercher dans le plain-chant grégorien et chez Palestrina l'authenticité de la musique liturgique. Sur le monument de Médéric Bruno à Vouvray, les chanteurs interprètent les neumes de l'antiphonaire ; les mots disent la souffrance : "Circumdederunt me gemitus mortis" [Les douleurs de la mort m'ont environné] et la joie : "Laetare Ierusalem et conventum facite" [Réjouissez-vous avec Jérusalem, … vous tous qui l'aimez]. Le croyant y verra deux pôles essentiels. Le mélomane aussi y trouvera le fondement de la musique.
Parallèlement Charles Bordes s'intéressait au chant populaire, une mission de collectage de la musique basque lui étant confiée en 1889 et en 1890 par le Ministère de l'Instruction Publique. Il publiera divers recueils dont Les Archives de la tradition basque, ou Douze chansons amoureuses du Pays Basque français. Toute sa vie il sera marqué par le Pays Basque. Il y faisait de fréquents séjours. Il a écrit des œuvres inspirées par ce folklore : La rapsodie basque, La suite basque, Le Caprice pour piano, Les Fantaisies rythmiques. Et il a laissé un opéra, malheureusement inachevé, intitulé Les Trois Vagues, autour d'une légende basque, sur lequel il a travaillé jusqu'au bout. Paul Dukas nous dit (en 1924) que cet opéra aurait été un autre Carmen…
Il ne faudrait pas le limiter à cette aire géographique ; la musique populaire, en général, l'intéresse. Ainsi les chansons du Languedoc ou la musique bretonne, pour laquelle il aide et encourage son ami le compositeur Guy Ropartz. En 1905, il crée la société "Les chansons de France" avec, entre autres, le concours d'Yvette Guilbert, et publie une revue trimestrielle qui va recueillir ces mélodies populaires.
Mais pourquoi Charles Bordes n'a-t-il pas produit une œuvre plus substantielle alors que c'était d'abord un compositeur, comme le reconnaît le monument de Vouvray, où le mot compositeur vient en premier ? La réponse, c'est que c'était d'abord un enseignant : former des chanteurs pour les chœurs de St Gervais, publier un périodique didactique, La Tribune de St Gervais, (qui continuera de paraître jusque dans les années 30). Et surtout, à partir de 1896, il y eut cette école de musique, la Schola Cantorum. Charles Bordes en est le créateur : il avait les idées. Il s'était adjoint Alexandre Guilmant et Vincent d'Indy qui prit les rênes de l'institution. La fonction de l'école, au début, était de raffermir la musique liturgique. Avec ses élèves, Charles Bordes est allé plusieurs fois à l'Abbaye de Solesmes pour étudier et pratiquer le grégorien. Son travail dans ce domaine a été salué par le motu proprio du Pape Pie X en juillet 1904. Sous l'égide de Vincent d'Indy, la Schola était étroitement catholique et nationaliste. Charles Bordes, lui, pensait d'abord, comme on l'a dit, à "Notre Dame la musique". La Schola existe toujours, 269 rue St Jacques à Paris, et, parallèle et rivale des autres institutions, elle a formé des générations de musiciens.
Il faut dire ici que le contexte religieux et politique a complètement changé depuis la fin du 19e siècle et le début du 20e ; c'est autrement qu'il faut entendre Charles Bordes, voire le redécouvrir. Aujourd'hui, ne voir que l'aspect religieux est réducteur et masque le créateur. En plus de la musique instrumentale et de l'opéra inachevé, très marqués par la musique basque, il y a aussi les mélodies raffinées sur la poésie symboliste. Charles Bordes s'est montré original et précurseur, puisqu'il a été le premier (avant Debussy) a écrire sur des poèmes de Baudelaire ou de Verlaine.
Il faut aussi dire son intérêt pour la musique de la Renaissance, la musique baroque (en 1900 !), de Monteverdi à Rameau, sans oublier Lulli, dont il avait toujours des partitions à portée de la main. Il avait transcrit Athys, et l'année de sa mort, il avait monté Castor et Pollux de Rameau à Montpellier.
Si les contradictions sont la vie même, Charles Bordes en était pétri : grégorien, Palestrina, musique religieuse, folklore basque, mélodies exprimant l'âme de son époque, musique baroque…
D'une santé fragile et très tôt frappé par la maladie (attaque d'hémiplégie en 1904), il a cependant continué à faire de la musique, à laquelle, avant tout, il était voué. Avec ses choristes il va parcourir la France, et quand il est allé vivre à Montpellier, soit-disant pour le soleil et pour se reposer, il a continué à travailler.
Il est mort, épuisé, à Toulon, le 8 novembre 1909. Il avait 47 ans.