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4 novembre 2023 6 04 /11 /novembre /2023 16:53

Nous avons évoqué dans ce blog le travail de Paul Poujaud, en octobre 1887, à l'écoute d'un laboureur creusois, près de Glénic. (cf le billet Creuse). Il avait envoyé ses notes à César Franck qui en a fait Le Chant de la Creuse, œuvre pour orgue parue dans L'organiste, pièces posthumes pour harmonium ou orgue à pédale pour l'office ordinaire. En 1889, puis en 1890, Charles Bordes devait être chargé de mission au Pays Basque, pour noter la musique populaire ; un peu avant lui; Poujaud avait commencé ce travail de collectage.

Plus de vingt ans plus tard, en 1903, Joseph Canteloube de Malaret, dans la montagne au dessus de Vic-sur-Cère, en se cachant, notait le chant d'une bergère, donnant de ses nouvelles à une autre, loin de là. Ce chant est appelé Lou Baïlèro (Occitan d'Aurillac) ; Canteloube l'a harmonisé et il figure au début des Chants d'Auvergne. C'est devenu une des œuvres les plus célèbres du compositeur. Il est publié dans le premier numéro des Chansons de France (Janvier 1907, p.11), revue publiée par la Schola Cantorum sous la direction de Charles Bordes. Voici le


manuscrit du Baïlèro. Une note, dans l'édition des Chansons de France, nous dit : "Cette sorte de chant de berger ne comporte pas de paroles, quoique les pâtres en mettent généralement." Il est vrai que la répétition : "lèro, lèro, lèro, lèro, baïlèro, lo" laisse toute liberté. Pour le Chant de la Creuse, Paul Poujaud nous dit : le laboureur "tenait la chanson de son grand-père, qui la chantait toujours en labourant. Elle n'avait pas de paroles." Même mystère, même liberté.
On dirait aujourd'hui que le travail de Charles Bordes au Pays  Basque était de l'ethnomusicologie. Ce qu'a fait Joseph Canteloube, au-delà de l'Auvergne, était de collecter des chansons dans tout le territoire. Et de composer. 
Joseph Canteloube avait suivi le conseil de son ami, Déodat de Séverac : "Chantez votre pays, votre terre !"
Comme lui, quelques années après Lou Baïlèro, Canteloube était élève de la Schola Cantorum. On peut voir ses notes sur le cours de composition de Vincent d'Indy en 1908-10 aux Archives Départementales du Cantal à Aurillac.
Plus tard, il composait l'opéra Le Mas (terminé en 1925). En 1922, l'Orchestre Lamoureux donnait les préludes des premier et deuxième actes. Paul Poujaud répondait à son invitation (lettre du 11 mai 1922 aux ADC) et lui disait qu'il irait, et qu'il informait un ami :


Poujaud savait que Canteloube avait procédé comme lui quelques années auparavant. Lou Baïlèro et Le Chant de la Creuse ont cette parenté.

 

[Notes :
. La photo montre Vic-sur-Cère et la montagne au-dessus, depuis le Rocher des Pendus ; elle provient de Wikipédia.
. On lira l'article d'Amédée Gastoué, César Franck et Paul Poujaud à propos d'un thème de folklore, le Chant de la Creuse paru dans la Revue de Musicologie, Tome 18, n°62, 1937, (pp. 33-38). Cet article est accompagné de deux lettres de Paul Poujaud, écrites en 1930.
. Les circonstances de l'écriture de Lou Baïlèro sont rapportées par Jean-Bernard Cahours d'Aspry (Joseph Canteloube, 2000, Séguier).
. Les Chants d'Auvergne de Canteloube ont été souvent réédités. On trouvera actuellement la sélection proposée par François Le Roux, chez Alphonse Leduc, en 2016.
. Les manuscrits proviennent des Archives Départementales du Cantal (photos BC). Celui de Lou Baïlèro est aussi sur le site Internet des Archives Départementales du Cantal. 
Je voudrais les remercier ici, pour leur accueil et leur aide. ]

 


BC
 

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26 juin 2022 7 26 /06 /juin /2022 18:27

Pour sa mélodie S'il est un charmant gazon, César Franck choisit en 1857, la Nouvelle Chanson sur un vieil air des Chants du Crépuscule (1835) de Victor Hugo, poème paru, donc, 22 ans plus tôt. Un vieil air peut-être, mais un nouvel amour, celui de Juliette Drouet. Victor Hugo a écrit ce poème, un an après le 1er anniversaire de sa nuit d'amour avec Juliette, du 18 au 19 février 1833. Cette date deviendra, nous dit Nicole Savy, "le 16-17 février, nuit de noces de Cosette et Marius dans Les Misérables". Amour idéal et lumineux qui vient directement de ces anges.

S'il est un charmant gazon
    Que le ciel arrose,
Où brille en toute saison
    Quelque fleur éclose,
Où l'on cueille à pleine main
Lys, chèvrefeuille et jasmin,
J'en veux faire le chemin
    Où ton pied se pose !

S'il est un sein bien aimant
    Dont l'honneur dispose,
Dont le ferme dévouement
    N'ait rien de morose,
Si toujours ce noble sein
Bat pour un digne dessein,
J'en veux faire le coussin
    Où ton front se pose !

S'il est un rêve d'amour
    Parfumé de rose,
Où l'on trouve chaque jour
    Quelque douce chose,
Un rêve que Dieu bénit,
Où l'âme à l'âme s'unit,
Oh ! j'en veux faire le nid
    Où ton cœur se pose ! 

Le poème a inspiré plusieurs compositeurs (Liszt, Fauré, Massenet, Saint Saëns, Widor et bien sûr César Franck).

Il a écrit deux versions de la mélodie, en mi bémol et en la bémol. Elles sont proches dans l'expression d'une poésie sentimentale et paisible. On est sensible à la partie de piano ; elle coule et lie une strophe à la suivante et conclue la mélodie. Dans l'enregistrement Bru Zane, l'auditeur est porté par cette interprétation.

Le poème repose sur une supposition : si. Le texte s'adresse à l'aimée. les trois strophes disent par allusion, son corps (ton pied, 8), son esprit (ton front, 16) et son âme (ton cœur, 24). C'est comme une démonstration ordonnée. C'est un idéal. Il semble atteint. Est-ce possible ? Le poème ne répond pas à cette question.

Nous trouvons une offrande à l'aimée, accompagnant le sentiment de l'auteur : j'en veux (7), j'y veux (15), j'en veux (23). Ce sentiment, très fort sans doute (choix du verbe vouloir) reste dans le domaine du souhait, ce qui nous renvoie à l'idéal que le poème exprime.

Dans la première strophe, Nous avons l'image d'un univers enluminé : des fleurs parsemées dans leur état le plus beau (brille, 3 ; éclose, 4). Ce sont des fleurs sublimes (6) : on est comme dans la tapisserie de la Dame à la Licorne. Les fleurs sont nommées et leur symbolisme est sous-entendu : le lys, la pureté, le chèvrefeuille, la fidélité, le jasmin, la pureté encore, la modestie et la force en amour. Le poème offre l'image d'un chemin (7), le chemin : pas de départ, pas d'arrivée.

La deuxième strophe reprend, dans sa conclusion (où ton front se pose, 16) la répétition de l'offrande, la même structure exclamative avec la rime féminine et le verbe poser. Les rimes (dans la première strophe mains, 5 ; jasmin, 6 ; chemin, 7) continuent d'être très simples : sein, 13 ; dessein, 14 ; coussin, 15. Le noble sein, 13, est ici celui de l'amant. Pas d'érotisme à la Verlaine où 35 ans plus tard on lit : "Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête…" Ici nous avons la poitrine protectrice de l'homme, non de la femme. Les mots choisis disent le sens du devoir : bien aimant, 9 ; honneur, 10 ; dévouement, 11. Et encore, comme pour insister : rien de morose, 12 ; noble, 13 ; digne dessein, 14. Pas d'érotisme, du sérieux.
 

La troisième strophe nous dit que c'est un idéal inaccessible, proche de la Divinité ; voyez le vers 21 :
Un rêve que Dieu bénit.
En même temps cette union est exprimée avec la banalité, le vague, du quotidien : douce chose, 20 : bénit, 21 ; le nid, 23. Cette dernière image exprime le refuge essentiel.

Victor Hugo veut écrire un poème d'amour vrai (22) :
l'âme à l'âme s'unit

 

 

[Le poéme de Hugo provient de  : Victor Hugo, Œuvres complètes, poésie 1, Paris, Robert Laffont, 1985.  Les chants du crépuscule (p. 752) et notes par Nicole Savy (p. 1087).
Les remarques de Jean-Philippe Navarre sur le livret du CD Bru Zane ont inspiré ce billet. Jean-Philippe Navarre est par ailleurs l'auteur d'une édition critique des mélodies de César Franck, (Les Presses du Collège Musical, 2020). 
L'illustration provient de Gallica. C'est un détail de la couverture de l'édition Énoch & Cie, 1922.
On trouvera cette mélodie sur le CD Harmonia Mundi (HMC 1138) avec Felicity Lott et Graham Johnson (1985).  Il existe  d'autres enregistrements des mélodies de César Franck.  Ainsi le CD Maguelone en 2015 avec Catherine Dune (soprano), Patrick Delcour (baryton) et Jean Shils (piano) ; en 2022, pour le bicentenaire du compositeur, un CD reprend l'intégrale des mélodies et des duos chez Bru Zane avec Véronique Gens (soprano), Tassis Christoyannis (baryton) et Jeff Cohen (piano).
On peut écouter l'interprétation de Bruno Laplante en 1978, avec Janine Lachance (piano), c'est sur YouTube à l'adresse suivante :
https://www.youtube.com/watch?v=KUI6n1veFSU (en la bémol)
et https://www.youtube.com/watch?v=4tya_ivVJZ0 (en mi bémol, enregistrement septembre 1977).]


 
BC

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8 juin 2022 3 08 /06 /juin /2022 16:50

Nous dirons d'abord quelques mots du poème de Sully-Prudhomme
C'est dans son premier recueil, Stances et Poèmes (1865), que paraît ce texte. En voici les cinq strophes :

Le vase où meurt cette verveine
D'un coup d'éventail fut fêlé ;
Le coup dut l'effleurer à peine :
Aucun bruit ne l'a révélé.

Mais la légère meurtrissure,
Mordant le cristal chaque jour,
D'une marche invisible et sûre,
En a fait lentement le tour.

Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
Le suc des fleurs s'est épuisé ;
Personne encore ne s'en doute,
N'y touchez pas, il est brisé.

Souvent aussi la main qu'on aime,
Effleurant le cœur, le meurtrit ;
Puis le cœur se fend de lui-même,
La fleur de son amour périt ;

Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde ;
Il est brisé, n'y touchez pas.

Nous sommes loin du carpe diem. Le présent ne compte pas. C'est la fin qui est sûre, et la fin, c'est la mort. Pour user d'une autre métaphore : nous voyons un jardin dans la ville, mais c'est un cimetière. 
La mort, ici, est à peine visible mais présente dès le début : la fleur s'étiole, elle meurt (vers 1). Le décor évoque un salon bourgeois, un vase en cristal (6) en évidence, la société mondaine, ces dames avec un éventail (2), et dans le vase beauté et délicatesse : loin des fleurs voyantes et somptueuses comme les roses de Madeleine Lemaire
Ici la verveine (1), plante de Vénus, (et nous voyons l'amour, discrètement suggéré, dès le début), plante odorante avec discrétion et aussi belle par ses fleurs.
Pas de violence. Certes, un coup d'éventail (2), mais ce n'est qu'un geste, maladroit peut-être : effleurer à peine (3), aucun bruit (4).
Dans la deuxième strophe, le mal est décrit, avec son caractère irrémédiable : meurtrissure (5), mordant (6) c'est comme une bête féroce, ou humblement comme la maladie qui gagne de façon irrévocable.
Les strophes 2 et 3 décrivent l'invisibilité (7) de la blessure en insistant sur sa réalité (7-8) et sur des conséquences invisibles aussi : l'eau s'en va (9), les fleurs perdent leur sève ; Sully-Prudhomme dit suc (10) pour en marquer l'importance vitale et souligne avec épuisé (10).  
Les deux dernières strophes montrent le parallélisme entre le vase et l'homme. La mort évoquée par Sully-Prudhomme est celle de l'amour avant la mort du corps (vers 16). Comme celle du vase on  ne la voit pas et le poème s'arrête avant ce final dramatique. Ce dont Sully-Prudhomme parle, c'est de la fin des sentiments. Au début du poème on voyait bien sa différence avec un poème du carpe diem, c'était évident (dès le premier vers), mais on savait qu'avec le secret intime, il s'agissait du sentiment (vers 4).
Cette fin de l'amour, peut aussi se comprendre dans le contexte du salon bourgeois et au-delà : la société est préservée. Voyez le vers 17 : Toujours intact aux yeux du monde. La discrétion, voulue par le savoir-vivre, est assurée : pleurer tout bas (19).
Nous trouvons la même mise en garde à la fin de la première partie (vers 12) et à la fin du poème (vers 20) avec une inversion des termes donnant un ton implacable à cette fin.

Le poème était très célèbre. Sully-Prudhomme a obtenu le premier Prix Nobel de littérature (en 1901). L'œuvre de ce Parnassien ne dérangeait pas (à la différence d'un Rimbaud ou même d'un Verlaine) mais c'est surtout par Le vase brisé qu'il était connu. C'est ce que le Nobel a salué.

Les compositeurs l'ont plusieurs fois utilisé pour une mélodie. Le Centre International de la Mélodie Française en compte 21 dans son répertoire. 
Le compositeur choisit le mineur : la mélodie est en ut mineur pour ténor ou soprano, si bémol mineur pour baryton ou mezzo-soprano, choix judicieux qui convient à la mélancolie du thème. Elle a été écrite en 1879, presque 15 ans après avoir été publiée (1865). Elle est lente, les mots sont détachés (comme meurt, v.1) ; pas de dramatisme, le ton reste narratif. 
Dans la deuxième strophe et aussi la troisième, le piano évoque la vie sociale, le salon. Un crescendo dans la troisième strophe nous mène à l'avertissement (N'y touchez pas v.12). La mélodie souligne avec un forte les mots importants du poème dans la deuxième et la troisième strophe : marche (v. 7) et fraîche (v. 9). 

César Franck répète le dernier vers de la troisième strophe et conclut cette première partie du poème qui établit la métaphore en ajoutant N'y touchez pas.

Pour la deuxième partie de la mélodie, on a le calme de la méditation. Le piano reprend doucement l'agitation de la deuxième strophe, mais ce sont les tourments intérieurs que l'on perçoit, ce n'est plus la société. Le compositeur introduit des modifications d'altération, par exemple 3 bémols pour le meurtrit (v.14).
Pour le dernier vers du poème, on entend tous les mots sur la même note ; la musique exprime la fatalité du dénouement. Ce qui se passe est irrémédiable.

Mélodie d'autant plus efficace que César Franck l'écrit avec simplicité, conscient de bien servir ce poème.

 
 

[Il existe plusieurs enregistrements des mélodies de César Franck. Ainsi le CD Maguelone en 2015 avec Catherine Dune (soprano), Patrick Delcour (baryton) et Jean Shils (piano) ; en 2022, pour le bicentenaire du compositeur, un CD reprend l'intégrale des mélodies et des duos chez Bru Zane avec Véronique Gens (soprano), Tassis Christoyannis (baryton) et Jeff Cohen (piano). On appréciera la sensibilité pianistique de Jeff Cohen ; sa conclusion de la mélodie Le vase brisé contient et retient la douleur. Si la couverture de ce CD veut illustrer le poème de Sully-Prudhomme, c'est un contresens. L'auteur du dessin aurait dû lire le texte. Il faut ajouter que c'est un contresens fréquent. Ce Vase est souvent représenté en faïence ou en porcelaine, alors qu'il est en cristal, avec des fêlures grossièrement raboutées, quand le poème nous dit qu'elles sont invisibles. 
On peut écouter l'interprétation de Bruno Laplante en 1978, avec Janine Lachance (piano). C'est sur YouTube à l'adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=-1ICXWGPg1g  .
Illustrations :
- vase en cristal Moser
- Couverture de la mélodie dans l'édition Enoch, 1900
- verveine en fleurs.]


BC

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30 novembre 2019 6 30 /11 /novembre /2019 19:06

Un livre retient notre attention : Charles Bordes à Maguelonne de François-Paul Alibert, Au pigeonnier (Saint Julien en Vivarais), 1926. Il est illustré par Jos. Jullien.

Les gravures n'ont pas directement rapport avec Charles Bordes et peu avec l'église de Maguelone dont j'ai mis la photo pour ouvrir ce billet. François-Paul Alibert avait une grande admiration pour la maison d'édition ("Une édition du Pigeonnier est une chose rare entre toutes […] on la hume, on s’en délecte par les yeux, par le toucher, presque pourrait-on dire par les cinq sens, en attendant que l’esprit s’en enchante", 1927). Quant à Jos. Jullien, il en a dessiné le logo :

Nous voyons, p. 43, une petite gravure d'une maison qui pourrait être le Mas Sant Genès.

Sur la même page, François-Paul Alibert écrit : "Oui, j'aime que ce soit là que Charles Bordes ait vécu son automne." Plus loin (p. 57), il dit : "le petit mas".

Le frontispice du livre montre la porte d'entrée de l'église de Maguelone dont le graveur donne une interprétation mystique avec ces trois femmes en prière devant la porte fermée.

La gravure représentant des choristes (p. 23) est évidemment un hommage aux Chanteurs de Saint Gervais.

J'ai, ailleurs dans ce blog, analysé cette image et ses rapports avec Theunissen et Bruno.

Le voyage à Maguelone (un n ou deux, au choix) donne son titre au livre et en constitue une part importante, mais il n'en représente pas la totalité. Sur le voyage lui-même, il y a peu de détails concrets. On ne peut que faire des hypothèses. François-Paul Alibert, Charles Bordes et des amis sont allés en chemin de fer de Montpellier à Sète. Puis en bateau, sous le soleil méditerranéen, par l'étang de Thau à Mèze où ils ont passé la nuit. Le voyage a continué le lendemain de Mèze à Maguelone, par un long parcours en calèche, en passant près des ruines de l'église funéraire avant d'arriver à la Cathédrale de Maguelone. Tous étaient frappés par son caractère grandiose au milieu de la désolation de lieux déserts et marécageux. Le groupe a visité le monument puis est monté sur la terrasse d'où la vue s'étendait jusqu'à Aigues-Mortes et où poussait un azérolier. Charles Bordes mange, pour la première fois de sa vie, ses fruits acides. Un lent retour en voiture vers Montpellier passe par Palavas : "Les roues, les pas des chevaux s'étouffaient dans le sable. De hauts tamaris se rejoignaient au-dessus de nos têtes..." (p. 56)

Le livre offre un portrait de Charles Bordes, soit directement, au cours des derniers jours de sa vie, soit indirectement à travers ce qui lui tenait à cœur, Montpellier et surtout la musique. Le début du livre reprend un article nécrologique qu'Alibert avait fait paraître dans la revue L'Occident (n° 99, février 1910), texte intitulé "A propos de Charles Bordes". Le livre est dédié à Victor Gastilleur (mort en 1925, le livre est de 1926). Natif de Carcassonne, c'est par lui que François-Paul Alibert avait connu Charles Bordes. Avec Déodat de Séverac, Victor Gastilleur avait écrit une Ode à la Cité. Cette cantate a été créée le 24 juillet 1909 sous la direction de Charles Bordes. Gastilleur est l'auteur d'un article "Sur le tombeau de Charles Bordes" paru dans la NRF (n° 11, décembre 1909, pp. 416-8). François-Paul Alibert est l'auteur d'un poème (probablement intitulé Méditerranée) pour Déodat de Séverac en 1904 ; Déodat de Séverac voulait faire un grand poème symphonique, presqu'achevé en 1906. Joseph Canteloube n'en a pas retrouvé le manuscrit en 1921 (toujours pas retrouvé).

François-Paul Alibert était donc proche du monde musical et en particulier de Charles Bordes. Poète, il était sensible au raffinement de l'être même de Charles Bordes. Comment ne pas être ému par cette vision de Charles Bordes au piano : "de sa seule main valide et comme par effleurement…" (p. 18) ? Il perçoit (p. 15) cet "amour du sensible" en nous montrant dans le même passage : "De la tête, il marquait le rhythme sonore, et tout en battant de la main une imperceptible mesure, il faisait rouler ses doigts l'un contre l'autre, avec une pure volupté, comme s'il eût éprouvé la musique par l'épiderme, à l'égal d'une chose vivante, d'une chose tangible.".

 

Alibert avait fait un voyage dans la vallée de l'Aude en juillet 1908 avec Victor Gastilleur, Eugène Rouart et André Gide. Il a longtemps correspondu avec ce dernier (cf André Gide, Correspondance avec François-Paul Alibert, Claude Martin éditeur, Presses Universitaires de Lyon, 1982) ; dans sa préface (p. XX), Claude Martin dit qu'il n'y a pas eu de relation homosexuelle entre eux mais une attirance partagée pour les adolescents. Quatre mois plus tard, Gide fit à Rouart et Alibert une lecture des premiers chapitres de Corydon, publiés anonymement en 1910 (le livre étant finalement publié sous son nom en 1924).

On notera la curieuse ironie de Paul Poujaud, l'ami de Charles Bordes, qui dans sa correspondance avec Paul Dukas, parlant du "Pasteur Gide" ou du"Pasteur Corydon", révèle une vaine jalousie devant celui qui avait osé, lui, faire son coming out, comme on dirait aujourd'hui. Par la suite, Paul-François Alibert a été l'auteur de "romans homosexuels" d'un grand intérêt littéraire (1931 puis 2002).

 

En 1912, Alibert publie Le Buisson ardent, recueil de poèmes. Le Thème Ludovisien, écrit à Montpellier en décembre 1907, est "en souvenir de Charles Bordes" ; dans sa conclusion, cette ode fait l'éloge de la musique dont la force, dit-il, apporte

 

Le secret de construire, et pour l'éternité.

 

 

 

 

 

[La photo de l'église (ou Cathédrale) est une CPA (carte postale ancienne) datant du début du XXe siècle : c'est ce qu'a vu Charles Bordes. Plusieurs billets du blog "Autour de Charles Bordes" ont cité des passages du livre de François-Paul Alibert. Voyez "Anges…",  "Et Charles Bordes souriait" qui cite longuement la dernière page du livre, ou récemment "La dernière mélodie", etc. Les photos de gravures proviennent du livre (collection privée). A la fin, le portrait de François-Paul Alibert, par Émile Laboureur, est le frontispice du livre Odes, NRF, 1922, consultable chez archive.org (exemplaire de l'Université d'Ottawa).]

 

 

BC

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4 janvier 2016 1 04 /01 /janvier /2016 18:49
chanter

[Chanteur, sculpture de Médéric Bruno, monument dédié à Charles Bordes, Vouvray.]

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8 décembre 2015 2 08 /12 /décembre /2015 11:49
décembre...

Dans Musica, n°86, novembre 1909, La danse au Pays Basque, le dernier article de Charles Bordes, ici p.173, fin.

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8 octobre 2015 4 08 /10 /octobre /2015 16:35
Octobre...

Musica, n°86, novembre 1909, le dernier article de Charles Bordes, ici p. 172, à suivre.

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3 août 2015 1 03 /08 /août /2015 17:20
août...

Musica, n° 24, septembre 1904, p. 376.

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6 juillet 2015 1 06 /07 /juillet /2015 08:48
juillet...
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4 mai 2015 1 04 /05 /mai /2015 20:27

~~Parallèlement à l’Exposition des « Primitifs français de la peinture », d’avril à juillet 1904, exécution de musiques profanes par les Chanteurs de Saint Gervais dans la galerie Henri II du château de Fontainebleau. Musica, n° 24, septembre 1904, p. 377 : « L’âme populaire s’y retrouve d’autant mieux que les œuvres de la polyphonie vocale se sont inspirées le plus souvent des mélodies populaires. »

mai...
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