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29 mai 2012 2 29 /05 /mai /2012 16:32

Rapsodie-basque--couverture--BNF.JPG

Les 88 pages de la Rapsodie basque de Charles Bordes sont depuis peu consultables sur Gallica. (On peut cliquer ici.)

Il s'agit de l'opus 9, écrit en 1888. L'œuvre est dédiée à Emmanuel Chabrier. Gallica propose l'édition de 1921, chez Rouart Lerolle et Cie. C'était une année faste pour l'œuvre de Charles Bordes, puisqu'elle a vu aussi la publication chez J. Hamelle des Quatorze mélodies dans l'édition revue par Pierre de Bréville.

Dans ce blog on a parlé de la Suite basque (opus 6, 1886) ; voir le billet du 3 août 2011.

En épigraphe, on trouve la phrase bien connue de Schumann : "Ecoutez attentivement la chanson populaire, c'est la source inépuisable des plus belles mélodies." Charles Bordes souligne son inspiration, et nous n'oublions pas son travail de collectage dans la Soule,

Soule--paysage.jpgcomme plus tard, depuis Montpellier, son intérêt pour la chanson traditionnelle languedocienne.

On trouvera dans la thèse de Bernard Molla, Tome II, pp. 378-387, une analyse détaillée de la Rapsodie basque. Nous y renvoyons nos lecteurs. L'œuvre, pour piano et orchestre, a été créée le 27 avril 1889 à la salle Pleyel avec au piano Marie-Léontine Bordes-Pène, la belle-sœur de Charles Bordes. Plus tard, vers 1904, elle sera jouée par Blanche Selva qui avait à peine vingt ans.

Il en existe un enregistrement, dirigé par José Luis Estellés.

Rapsodie basque, CD MusikeneC'est un premier enregistrement mondial. Il a été fait au siège de l'Orkestra Sinfonikoa de Musikene à Donostia-San Sebastián entre les mois de novembre et décembre 2007. Félix Ardanaz est au piano. (On peut facilement commander le CD sur le site de Musikene.)

Pour l'orthographe, vous avez le choix ; c'est rhapsodie qu'on trouve le plus souvent.

Bernard Molla cite (p. 379) un texte de Georges Servières paru dans le bulletin de la Société Internationale de Musique en décembre 1909 (pp. 992-3). Nous en reprenons une phrase. C'est par nécessité intérieure que le compositeur écrit, et la liberté passe en premier : "il écrit moins pour réaliser des combinaisons sonores que pour exprimer un sentiment intime."

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30 janvier 2012 1 30 /01 /janvier /2012 23:23

Un billet de ce blog l'a déjà trouvée, mais il n'y a pas que sur musicMe qu'on peut l'entendre. On la trouve intégralement sur Deezer mais il faut chercher "Vincent d'Indy".
Les quatre mouvements y sont, pas dans l'ordre toutefois.
On peut aussi chercher par le titre "Suite basque", mais c'est également assez compliqué car il y a d'autres pièces avec le même titre. Le dernier mouvement porte ici son titre : "IV. Pordon Dantza", alors que les autres mouvements sont indiqués "(A Vincent d'Indy)" ; il était le dédicataire de cet opus 6 de Charles Bordes. Deezer n'a pas vu le nom du véritable compositeur.
L'enregistrement est celui fait en 2007 par le Studio Domovina à Prague. Normal : il n'y en a qu'un. C'était une première mondiale. Nous l'avons mentionné ici. On entend Carlo Jans (flute) et le Quatuor Martinů (Lubomir Havlák et Irena Herajnová, violons, Jan Jiša, alto, Jitka Vlašánková, violoncelle). CD ArcoDiva, UP 0104-2 131.
La Suite Basque est analysée dans la thèse de Bernard Molla (Tome II, pp. 365-377), consultable en particulier à la Bibliothèque de Vouvray et sur le site des Journées Charles Bordes.
Les quatre mouvements sont les suivants :
I. Prélude   II. Intermezzo   III. Paysage   IV. Pordon Dantza
La suite, écrite en 1886, a été jouée pour la première fois Salle Pleyel par la Société Nationale le 21 janvier 1888. On trouvera quelques remarques plus précises sur l'œuvre dans le billet mentionné en premier, celui du 3 août 2011.

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30 décembre 2011 5 30 /12 /décembre /2011 19:02

Quelle émotion de lire ce dernier article écrit par Charles Bordes ! Il est publié dans Musica en novembre 1909 (n°86) et s'intitule La danse au pays basque. Nous lui empruntons quelques photos.

S'il fallait une preuve de l'intérêt que toute sa vie il a porté à la culture basque, depuis 1885 où il écoute Choriñoak kaiolan, la voici !

Bien que parlant de la danse, il n'oublie pas l'aspect musical et redit son admiration pour les "magnifiques et anciennes chansons" dans les traditions populaires basques. Plus loin, parlant de la Soule, il écrit : "C'est là aussi que se chanteront les plus anciennes et les plus belles chansons qui constituent peut-être le plus riche et le plus beau patrimoine musical qui soit."

Tout en soulignant le caractère "inné" de ces danses ethniques dont certaines, dit-il, "paraissent remonter à la plus haute antiquité", il ajoute d'une façon que certains ont pu juger contradictoire, "je croirais volontiers … que beaucoup sont d'importations artistiques issues de ballets de cour ou de théâtre et transportées de toutes pièces dans la tradition populaire".

Et logiquement, Charles Bordes réintroduit les danses folkloriques basques dans le ballet classique.  Cet aller-retour entre le traditionnel et le savant a été noté à propos de la musique. Dans la musique basque, Charles Bordes a trouvé des rythmes, des accords et une fluidité qui étaient aussi dans la musique liturgique, le chant grégorien en particulier (voir Charles Bordes et son œuvre de l'Abbé Bordachar, 1922).

La fin de l'article décrit sa présentation du premier acte d'Iphigénie en Tauride de Glück

Musica--86--Iphigenie.JPG

à Saint Jean de Luz puis à Tardets, avec un groupe de danseurs basques, notamment le fameux ballet des Scythes.

Le musicien qu'il est sait analyser techniquement la danse. La "danse du verre", sans doute traditionnelle doit aussi sa subtilité à la "danse d'art" à laquelle elle est "empruntée".

Il n'échappe pas au lecteur l'admiration de Charles Bordes pour ces danseurs :

Musica--86--Tardets.JPG

"Pour le spectateur bénévole, qu'il lui suffise, pour sa joie intime, de savourer la grâce exquise de ce cercle de jeunes gens, beaux pour la plupart et souples comme des chats." Il est très attentif aux vêtements, notant que le costume traditionnel des danseurs ne les avantage pas, "les jambes engoncées dans de gros bas de cotonnade à côtes qui, enlevant toute ligne à la jambe, semblent vraiment échappés d'une grotesque mascarade." Il note que le costume n'est pas vraiment authentique : "leur costume traditionnel et d'apparat qui ne semble pas remonter plus loin que le Premier Empire". Il préconise une réforme et nous livre son rêve d'une grâce retrouvée : "combien ils seraient plus jolis à voir en culottes courtes ou même en pantalons longs mais blancs avec la simple petite veste du pays si légère et si avenante qui a le rare mérite de laisser les jambes totalement à découvert et d'être faite pour la danse."

Ici on semble entendre l'air geordie et l'évocation de Johnny,

sae leish, sae blithe, sae bonny.

Comme il l'a fait pour le chant, il veut faire renaître "la danse masculine au théâtre" en créant "en plein pays basque", "une école de danse pour enfants et jeunes garçons."

Cet art a un caractère sacré, et Charles Bordes, en 1909, lui, le rénovateur de la musique liturgique, n'hésite pas à écrire : "Il est regrettable de constater que le plus grand ennemi de la danse du pays basque est le clergé, et ce encore de nos jours, aussi bien en France qu'en Espagne."

C'est un Charles Bordes complexe, qui confesse avec naturel ce qui doit venir en premier, cette "joie intime".

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3 août 2011 3 03 /08 /août /2011 22:25

Un lecteur me signale qu'on peut écouter la Suite basque de Charles Bordes sur le net. Je ne le savais pas. C'est peut-être nouveau et, c'est vrai, je ne pense pas actuellement à la musique instrumentale, plutôt à la musique vocale et aux mélodies en particulier.

Faites un clic ici.

Vous êtes sur musicMe et vous avez la possibilité d'écouter les quatre mouvements de la Suite basque. L'œuvre est indiquée sous ce titre ; ne vous laissez pas troubler par ce qui suit (répété quatre fois) : "a (sic)Vincent d'Indy". Il faut lire à, car Vincent d'Indy est le dédicataire de l'œuvre, comme le montre la première page,

p.1, partition Suite basque

ici dans la transcription pour piano par Ernest Chausson, éditée chez S. Bornemann. La première version, (opus 6), composée en 1886 (Charles Bordes avait 23 ans) est pour flûte, deux violons, alto et violoncelle. Le CD, c'est le "disque tchèque" : premier enregistrement mondial de cette Suite basque, qui a eu lieu à Prague en 2007 (CD chez Orchard/Arcodiva). On entend Carlo Jans à la flûte, et le Quatuor Martinú composé de Luvbomír Havlák (premier violon), Irena Herajnová (second violon), Jan Jíša (alto) et Jitka Vlašánková (violoncelle). La durée totale est d'un peu plus de 22 minutes. Vous verrez le détail sur Internet, les mouvements III et IV étant sensiblement plus longs que les deux premiers.

On trouvera dans le CD une brève notice par Jiří Štilec sur la Suite basque (en anglais et en tchèque), mais l'analyse la plus complète, avec de nombreuses citations de la partition, est celle de Bernard Molla dans sa thèse, pp. 365-377, (Charles Bordes, pionnier du renouveau musical français entre 1890 et 1909 , Université de Lyon, 1985 ; consultable à la BMV). Les remarques qui suivent s'en inspirent.

Le premier mouvement, Prélude, introduit, dans le 1er mode grégorien (Jiří Štilec parle plutôt du Dorien et signale que les Rolling Stones l'utilisent dans leur chanson "She's like a rainbow" ; on pourrait donner d'autres exemples de l'emploi de cette gamme en mineur par d'autres groupes contemporains), la chanson labourdine Argizagi ederra suivie du deuxième thème, la chanson Choriñok kaiolan, exposée sans ornementation. C'est bien sûr ce qui a été signalé par notre lecteur, mais ce n'est pas fini.

Le deuxième mouvement, Intermezzo  suit un rythme de zortziko, indiqué au début par Charles Bordes. Ce rythme est très répandu au Pays basque avec sa mesure à 5 temps, asymétrique. La mélodie est jouée à la flûte qui évoque le txistu, flûte à bec basque à trois trous. On a l'impression de l'Aurrescu, danse nationale basque, avec son déhanchement rythmique.

Le troisième mouvement, Paysage, propose dans le pianissimo, le retour de la mélodie Choriñoak kaiolan. La chanson d'amour de Basse Navarre, collectée par Joseph Canteloube, Lurraren pian sar nindaiteke (Dans le tombeau, ô ma bien-aimée, j'ensevelirai ma douleur !) suit, entrecoupée par des fragments de Choriñoak kaiolan, qui conclut calmement.

Le quatrième mouvement, Pordon dantza, commence avec "une gravité douce", écrit Charles Bordes. Puis la "danse des bâtons" est exposée avec d'habiles variations entre la valse et le décalage rythmique apporté par la flûte. Le tempo s'accélère vers la frénésie finale. On entend de courts rappels de Choriñoak kaiolan et de Argizagi ederra. La danse caractérise ce mouvement et lui donne son unité. La sensibilité de Charles Bordes, qui avait collecté la Pordon dantza à Tolosa en Guipuzcoa, s'exprime lorsque le "musicien-voyageur" écrit en 1899 dans La musique populaire des Basques (p. 349), "les jeunes gens, aux tailles bien prises dans leur ceinture de soie, dansent leurs pas sacrés avec leurs bâtons et leurs épées." (passage cité par Bernard Molla). Cette vision reviendra dans le dernier article de Charles Bordes (Musica, n°86, novembre 1909, p. 173) : "Pour le spectateur bénévole, qu'il lui suffise, pour sa joie intime, de savourer la grâce exquise de ce cercle de jeunes gens, beaux pour la plupart et souples comme des chats."  

Au-delà d'une œuvre instrumentale séduisante, la Suite basque unit les éléments qui ont gouverné le travail artistique de Charles Bordes. C'est évident dans les pièces instrumentales et aussi dans l'opéra inachevé Les trois vagues, et de façon plus subtile dans les mélodies. Dans ses recherches d'ethno-musicologie au Pays basque, il retrouve les sources du plain-chant. De là tout son travail pédagogique sur la musique religieuse mais aussi sur la musique baroque et jusqu'à Gluck. Son intérêt pour la musique populaire, n'est jamais démenti (Société "Les chansons de France", Congrès de juin  1906 à Montpellier). En exergue de sa Rhapsodie basque (1889), Charles Bordes a placé cette phrase de Robert Schumann (Conseils à la jeunesse, 1848) : "Ecoutez attentivement la chanson populaire, c'est la source inépuisable des plus belles mélodies."

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 21:32

Voici un conte que la Bibliothèque Municipale de Vouvray offre à ses jeunes lecteurs. Il est dans le répertoire de l'Ours, le conteur, et a déjà été raconté à plusieurs reprises, en particulier pour les enfants du Centre aéré.

Le texte, et un commentaire, ont paru dans le n° 24 du bulletin de la BMV, Les Liserons. C'est une adaptation du conte Les Trois Vagues publié en 2000 par Actes Sud Junior et actuellement épuisé. Il est raconté par Diane Barbara, et nous en reprenons les illustrations de Dorothée Duntze.

Mais un conte convient à de nombreux âges. C'est ce qu'on oublie souvent. (Certains font du storytelling en entreprise ou même en politique, mais c'est une trop longue histoire, un autre jour, peut-être.) Ici, dans cette version, Les trois vagues convient à de jeunes enfants (de 3 à 9 ans), mais le conteur peut l'adapter à son public. Des adultes pourraient aussi trouver quelque chose de roboratif dans ce récit d'une lutte pour la liberté.

Un autre billet vous donnera la version recueillie par Araquistain et publiée en 1866. Elle est différente, mais on y retrouve les vagues de lait, de larmes et de sang. C'est la version que connaissait Charles Bordes et qu'il a utilisée dans son opéra inachevé Les Trois Vagues.

Dans une de ses mélodies, écrite en 1895, le 'Madrigal à la musique', traduction de Maurice Bouchor du poème de Shakespeare dans Henry VIII, Acte III, scène 1, (Orpheus with his lute made trees…), il est dit, à propos d'Orphée et de son luth "…la vague marine,/vaincue, à ses pieds déferlait."

Le courageux marin du conte est comme le musicien : il soumet les vagues. C'est ce pouvoir de la musique que Charles Bordes exprime.

 

Voici l'histoire de Peyo (Pierre, en basque).

Peyo le pêcheur rentre au port bien fatigué.

Mais il ramène un panier de sardines de sa journée en mer.

Ça se passait du côté d'Hendaye, ou peut-être de Bermeo, au Pays Basque, là où il y a de grosses vagues sur l'océan. On y vient même de Californie pour faire du surf. Si on n'est pas surfer ou bon marin comme Peyo, il vaut mieux être prudent.

Au port, il y a Sorgin la sorcière qui attend. Elle est méchante, c'est une lamie disent les Basques. Méchante et envieuse : quand elle voit quelque chose qui lui plaît, elle le prend. Une poche magique apparaît dans son manteau noir : c'est là qu'elle met ce qu'elle a pris. Elle veut les sardines de Peyo. Il n'est pas d'accord. Il a travaillé toute la journée pour les pêcher.

"Va-t-en, sorcière, pousse-toi, laisse-moi passer : tu n'auras pas mes sardines."

Et Peyo passe et rentre chez lui.

Sorgin est furieuse. Elle veut se venger. Elle va dans les dunes de sable près du port rencontrer ses deux amies, comme elle habillées de noir. Par hasard, Takio, l'ami de Peyo, se trouve par là. Il se cache bien, dans un repli de sable et il écoute ce que disent les trois sorcières.

Et il court vite chez Peyo pour le prévenir. "Peyo, tu es en grand danger !  J'ai entendu les trois lamies. Voilà ce qu'elles veulent faire de toi. Il y aura trois vagues. La première, de lait, sera pour te faire peur. La deuxième, de larmes, pour te glacer le cœur et la troisième, desang, pour te tuer. Méfie-toi !"

Peyo répond : "Je n'ai pas peur. Veux-tu venir avec moi sur l'océan ? Tu tiendras le gouvernail."

Takio hésite, mais il sait que Peyo est un bon marin et il dit oui.

Le matin ils partent sur la mer dans la barque de Peyo. Dès qu'ils sont au large, ils voient une très grosse vague arriver sur eux. L'écume la rend blanche comme le lait. Peyo n'a pas peur. Il crie à son ami : "Tiens bon le gouvernail, nous passerons !"

Et ils passent sur la vague.

conte--LTV--p17.jpg

Aussitôt arrive la deuxième vague, énorme, amère comme les larmes, celle qui doit lui glacer le cœur. Peyo n'a pas peur. Il crie à son ami : "Tiens bon le gouvernail, nous passerons !"

Ils sont bien secoués, mais ils passent sur l'énorme vague qui déferle.

Très vite la troisième vague apparaît, celle qui doit tuer Peyo.Il n'en a jamais vu de si grosse. Plus haute que la plus haute des maisons de Bayonne. Mais il n'a pas peur.. Il saisit son harpon, qu'il utilise pour aller quelquefois à la pêche à la baleine ou au gros poisson. Il crie à son ami Takio : "Tiens bon le gouvernail, nous passerons !" Takio cramponne le gouvernail. Peyo s'est dressé sur sa barque. Avec son harpon, il vise le cœur de cette vague, plus haute qu'une maison.

conte--LTV--p-22.jpg

Et il le lance au moment où la vague allait engloutir la petite barque. La vague devient toute rouge, comme du sang et on entend comme un cri sur tout l'océan.

La barque passe.

Cette vague qui était plus haute qu'une maison est devenue une ondulation de rien du tout.

Peyo et son ami Takio sont épuisés. Ils rentrent au port. Il ne leur arrive plus rien. Sur la plage, ils trouvent un grand manteau noir avec plein de poches, tout mouillé, abandonné.

On n'a plus jamais revu Sorgin la méchante lamie. Quelquefois on croisait ses amies toutes en noir qui pleuraient.

 

Peyo avait gagné son combat pour la liberté.

 

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11 février 2011 5 11 /02 /février /2011 17:39

Ce musicien super-doué, ce pédagogue, ainsi désigné par la postérité (et fixé dans ce rôle par le monument de Vouvray) a choisi de laisser au second plan son œuvre de compositeur, pourtant singulièrement attachante, pour donner aux gens les moyens de chanter.

Et ce choix, il en a trouvé la justification dans son travail d'ethnomusicologie, en écoutant la voix des gens simples (Ce sont aussi les enfants qui chantent dans le monument de Médéric Bruno. Ils lisent les neumes du grégorien, certes. Pour reprendre l'étymologie du mot, c'est aussi le souffle de la liberté.) Dans le folklore basque, il a vu qu'il fallait donner à tous cette possibilité d'expression musicale, et il a puisé un élan, une inspiration pour son œuvre.

 

Il y a une influence strictement musicale. Dans la musique traditionnelle basque, Charles Bordes a retrouvé le plain-chant, qui est aussi une caractéristique du grégorien.  On débat de savoir si le folklore est à la source du grégorien. Charles Bordes pensait que tel était le cas pour la musique basque.

D'autre part, il y a un choc esthétique, qui combine musique et littérature. On a souligné l'importance de la conférence de 1885. Il s'agissait d'une conférence du médiéviste Gaston Paris, accompagnée d'illustrations musicales. Charles Bordes écouta la chanson basque Choriñoak kaiolan en extase. Julien Tiersot écrivit plus tard : "Ce fut pour lui comme la suggestion d'une musique inconnue, sortie de l'autre monde". (Cité par Natalie Morel Borotra, 'Charles Bordes et les Archives de la Tradition Basque' dans  'Le chant et l'identification culturelle des Basques (1800-1950)',   Lapurdum, V, 2000, numéro V)

 

Il y entend pour la première fois la mélodie Choriñoak kaiolan.  Voici les paroles :

 

1. Choriñoak kaiolan,
Tristerik du khantatzen:
Dialarik han zer jan,
Zeren, zeren,
Libertatia zouñen eder den!

2.
 Kanpoko choria,
So.giok kaiolari:
Ahal balin bahadi,
Harterik begir.adi,
Libertatia zouñen eder den!


3.
 Barda amets egin dit
Maitia ikhousirik:
Ikhous eta ezin mintza,
Ala ezina!
Desiratzen nuke hiltzia...

 

et leur traduction littérale par le Dr Jean-Félix Larrieu :


1. L'oiseau, dans la cage, Chante tout attristé : Tandis qu'il y a de quoi manger, de quoi boire, Parce que, parce que La liberté est si belle.
2. Oiseau du dehors, Jette un regard à la cage : Si cela t'est possible, Garde-t-en bien, Parce que, parce que, parce que ? La liberté est si belle.
3. Hier au soir j'ai rêvé Avoir vu ma bien-aimée, La voir et ne pouvoir lui parler. N'est-ce pas bien grand' peine ? Ah ! désespoir ! Je désirerais bien mourir.

 

Charles Bordes accepte aussitôt le travail de collecte qui lui est demandé par le Ministère de l'Instruction Publique. Il devient  "une sorte de Basque d'adoption", pour reprendre l'expression de Tiersot. Il mène sa mission en 1889-90 et passe ensuite tous ses étés au Pays Basque. Il écrit une conférence qu'il fait lire à Saint Jean de Luz en 1897 : "La musique populaire des Basques" ; il  y "démontre" l'intérêt musical du "chant basque", en l'analysant pour la première fois sur la base de critères musicologiques ; la parenté qu'il lui trouve avec le plain-chant et l'aspect rythmique retiennent son attention : le chant basque s'inscrit maintenant dans une histoire musicale, et non plus seulement dans une histoire littéraire, et des passerelles sont établies avec "la musique artistique"  (Nathalie Morel Borotra, op. cit.)

 

Les chansons collectées par Charles Bordes sont publiées à Paris par E. Barillon, sans indication de date : 100 chansons populaires basques , "recueillies et notées au cours de sa mission par Charles Bordes", une sélection, intitulée Douze chansons amoureuses du Pays Basque français et qui contient notamment Choriñoak kaiolan (n° 8) est publiée chez Rouart en 1910 : cette chanson aura accompagné Charles Bordes toute sa vie. Il y a aussi Douze Noëls populaires basques, (vers 1880), et surtout la musique religieuse basque, en 1897, Kantika espiritualak. On notera aussi :  Dix danses, marches et cortèges populaires du pays basque, (1908). L'Abbé Bordachar a bien défini l'importance de cette musique populaire sur Charles Bordes, soulignant cet appel de la liberté : " Il sent que la vraie musique est là, celle qui part du cœur et y revient, dans un jaillissement libre et spontané de la mélodie…" (Abbé B. Bordachar, Charles Bordes et son œuvre, Pau, 1922.)

 

Il ne faut pas oublier l'œuvre de Charles Bordes comme compositeur.

Elle est, du début à la fin, inspirée par l'univers musical basque.

Dans les mélodies, l'inspiration basque se retrouve indirectement, en particulier avec les poèmes de Francis Jammes (d'Hasparren, au cœur du Pays basque) que Charles Bordes utilise (lui même passant ce mois d'août 1901 à Guéthary, au bord de l'océan, à 25 km plus à l'ouest)… Une mélodie comme 'Du courage ? mon âme éclate de douleur' nous dit éloquemment la démarche existentielle de Charles Bordes. (voir Marius Flothuis dans  "…exprimer l'inexprimable…" Essai sur la mélodie française, pp. 77-83,  Amsterdam, 1996).

On peut citer la Suite basque (flûte, 2 violons, violoncelle) op. 6, en 1887, la Rapsodie basque, pour piano et orchestre, op. 9, en 1888, Trois danses béarnaises, op.11, en 1888, l'ouverture pour le drame basque Errege Jan en 1889, Euskal Herria, (musique de fête pour accompagner une partie de paume au Pays basque) en 1891. Dans ces œuvres, la musique populaire basque est intégrée dans la musique savante.

 

Enfin, il y a surtout cet opéra inachevé, Les trois vagues, commencé probablement en 1890, d'après un conte traditionnel basque, et dont il a aussi écrit le livret. Ceux qui ont vu ce manuscrit en ont souligné la grande valeur (nous en reparlerons dans ce blog).

 

On aura noté l'expression : "La liberté est si belle" répétée dans Choriñoak kaiolan. La traduction "rythmée" de F. Gravelet nous dit : "… rien n'est bon sans la liberté" puis "…rien n'est beau…" Au-delà d'une formulation paisible de ce slogan de lutte, il y a une définition esthétique (beau) qui ne peut que séduire les créateurs.

On comprendra mieux le sacrifice de Charles Bordes, consacrant son énergie à la diffusion de la musique et en limitant sa création propre, en écoutant encore Antton Valverde lancer son appel à la liberté.

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