Nous avons évoqué dans ce blog le travail de Paul Poujaud, en octobre 1887, à l'écoute d'un laboureur creusois, près de Glénic. (cf le billet Creuse). Il avait envoyé ses notes à César Franck qui en a fait Le Chant de la Creuse, œuvre pour orgue parue dans L'organiste, pièces posthumes pour harmonium ou orgue à pédale pour l'office ordinaire. En 1889, puis en 1890, Charles Bordes devait être chargé de mission au Pays Basque, pour noter la musique populaire ; un peu avant lui; Poujaud avait commencé ce travail de collectage.
Plus de vingt ans plus tard, en 1903, Joseph Canteloube de Malaret, dans la montagne au dessus de Vic-sur-Cère, en se cachant, notait le chant d'une bergère, donnant de ses nouvelles à une autre, loin de là. Ce chant est appelé Lou Baïlèro (Occitan d'Aurillac) ; Canteloube l'a harmonisé et il figure au début des Chants d'Auvergne. C'est devenu une des œuvres les plus célèbres du compositeur. Il est publié dans le premier numéro des Chansons de France (Janvier 1907, p.11), revue publiée par la Schola Cantorum sous la direction de Charles Bordes. Voici le
manuscrit du Baïlèro. Une note, dans l'édition des Chansons de France, nous dit : "Cette sorte de chant de berger ne comporte pas de paroles, quoique les pâtres en mettent généralement." Il est vrai que la répétition : "lèro, lèro, lèro, lèro, baïlèro, lo" laisse toute liberté. Pour le Chant de la Creuse, Paul Poujaud nous dit : le laboureur "tenait la chanson de son grand-père, qui la chantait toujours en labourant. Elle n'avait pas de paroles." Même mystère, même liberté.
On dirait aujourd'hui que le travail de Charles Bordes au Pays Basque était de l'ethnomusicologie. Ce qu'a fait Joseph Canteloube, au-delà de l'Auvergne, était de collecter des chansons dans tout le territoire. Et de composer.
Joseph Canteloube avait suivi le conseil de son ami, Déodat de Séverac : "Chantez votre pays, votre terre !"
Comme lui, quelques années après Lou Baïlèro, Canteloube était élève de la Schola Cantorum. On peut voir ses notes sur le cours de composition de Vincent d'Indy en 1908-10 aux Archives Départementales du Cantal à Aurillac.
Plus tard, il composait l'opéra Le Mas (terminé en 1925). En 1922, l'Orchestre Lamoureux donnait les préludes des premier et deuxième actes. Paul Poujaud répondait à son invitation (lettre du 11 mai 1922 aux ADC) et lui disait qu'il irait, et qu'il informait un ami :
Poujaud savait que Canteloube avait procédé comme lui quelques années auparavant. Lou Baïlèro et Le Chant de la Creuse ont cette parenté.
[Notes :
. La photo montre Vic-sur-Cère et la montagne au-dessus, depuis le Rocher des Pendus ; elle provient de Wikipédia.
. On lira l'article d'Amédée Gastoué, César Franck et Paul Poujaud à propos d'un thème de folklore, le Chant de la Creuse paru dans la Revue de Musicologie, Tome 18, n°62, 1937, (pp. 33-38). Cet article est accompagné de deux lettres de Paul Poujaud, écrites en 1930.
. Les circonstances de l'écriture de Lou Baïlèro sont rapportées par Jean-Bernard Cahours d'Aspry (Joseph Canteloube, 2000, Séguier).
. Les Chants d'Auvergne de Canteloube ont été souvent réédités. On trouvera actuellement la sélection proposée par François Le Roux, chez Alphonse Leduc, en 2016.
. Les manuscrits proviennent des Archives Départementales du Cantal (photos BC). Celui de Lou Baïlèro est aussi sur le site Internet des Archives Départementales du Cantal.
Je voudrais les remercier ici, pour leur accueil et leur aide. ]
BC