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27 décembre 2021 1 27 /12 /décembre /2021 10:16

Nous avons sous les yeux une lettre écrite par Charles Bordes depuis Montpellier, le 4 septembre 1909 (cf la transcription en note ). Il y a deux pages ; le verso commence par "pour le 1er octobre". Elle est inédite. 

 

Une édition de sa correspondance complète n'existe pas. Actuellement on trouvera des lettres (175) de Charles Bordes dans le Tome III de la thèse de Bernard Molla (MOLLA, Bernard, Charles Bordes, pionnier du renouveau musical  français entre 1890 et 1909, thèse de musicologie, Université de Lyon II, novembre 1985) et de substanciels extraits (surtout des lettres adressées à Paul Poujaud) dans le livre de Patrick Hala (HALA, Patrick, osb, Solesmes et les musiciens  Vol . I La schola Cantorum, "Charles Bordes", pp. 1-386, Solesmes, Éditions de Solesmes, 2017).

La lettre est adressée à Gabriel Astruc, directeur de la revue Musica. C'est une personnalité du monde musical français. Quelques années plus tard il dirigera le Théâtre des Champs Élysées.

Son but est simple. Charles Bordes y demande le paiement d'un article qu'il a écrit pour la revue, mettant en avant son besoin, et il propose d'écrire sur les événements musicaux géographiquement proches. Dans un post-scriptum (écriture moins appuyée),  il évoque une reprise d'Iphigénie en Tauride de Glück et de l'Anacréon de Rameau qu'il a présenté à Bagatelle, avec les chanteurs possibles. Certes il a besoin de ces "cent balles", mais il termine en parlant de ce qui compte vraiment, c’est-à-dire de nouveaux spectacles.

La lettre montre la familiarité des rapports entre Charles Bordes et Gabriel Astruc. C'est une connaissance proche, traité de "Cher ami", avec, en fin de lettre "mille bonnes amitiés".  Charles Bordes s'adresse à lui avec simplicité, employant un langage parlé : "mille dettes criardes qui m'assiègent", voire très familier et direct lorsqu'il réclame "les cent balles de mon article" (environ 200/300 Euros aujourd'hui). Il répète l'expression à la fin de sa lettre, tout en l'enveloppant de politesse : "mais pensez aux cent balles, je vous en prie". Ailleurs, évoquant la Schola de Montpellier, il dit : "quand j'y refous les pieds".
Charles Bordes a écrit cette lettre très vite ; son écriture est régulière mais il respecte peu l'ordonnancement d'une lettre officielle, comme le montre son aspect avec le commencement oblique des lignes. Il a certes employé du papier à l'en-tête de la Schola ; il en avait sous la main au Mas Sant Genès.
Quand il dit : "la renomée Schola montpelliéraine qui ne m'a jamais rapporté un sous", faut-il y voir de l'humour ou de l'ironie ? Il y a un détachement, de la désinvolture, devant l'œuvre accomplie, mais Charles Bordes est conscient de son travail.

Lorsqu'il demande à Astruc de l'envoyer parler d'œuvres musicales, il mentionne aussi la photographie. Il écrirait sans doute, mais ce sont aussi des "documents photographiques"  qu'il ferait. Des allusions ont été faites à cet aspect du travail de Charles Bordes, mais nous ne savons rien d'autre. Rien sur l'appareil utilisé, par exemple, ou sur les négatifs qui doivent bien subsister. Sur les photos, on ne peut que faire des hypothèses.
Par exemple, la maison basque sur la couverture de Douze chansons amoureuses du Pays Basque français  (Paris : Rouart, Lerolle & Cie, 1910),

est-elle une photographie dont il serait l'auteur ? C'est possible ; l'etno-musicologue témoignait aussi sur un pays. 

En ce qui concerne l'article dont il parle à Astruc, il doit s'agir de La danse au Pays basque (paru dans Musica n°86 de novembre 1909, pp. 172-3). Le thème du Pays basque a gouverné la vie de Charles Bordes, avant sa mission d'etno-musicologie (1889 et 1890). Sans oublier l'opéra Les trois vagues auquel il a travaillé toute sa vie en le laissant malheureusement inachevé. (Cf dans ce blog le billet Vacances au Pays basque.) 
Foin des "basquaiseries" méprisantes de Vincent d'Indy (lettre à Paul Poujaud du 27 septembre 1889).

 

Une phrase du texte, avec son érotisme diffus, déclare : "Pour le spectateur bénévole, qu'il lui suffise, pour sa joie intime, de savourer la grâce exquise de ce cercle de jeunes gens, beaux pour la plupart et souples comme des chats." 
Nous les voyons, tels qu'il les a vus :

 

 


La lettre, surtout dans son post-scriptum, contient plusieurs allusions à des spectacles musicaux. Marqué par Wagner comme bien des compositeurs français de l'époque, le franckiste qu'il est peut parler de la Tétralogie qui doit être présentée à l'Opéra de Monte Carlo. Il mentionne aussi La Glu, drame de Gabriel Dupont sur le roman de Jean Richepin, programmé à Nice pour 1910, mais qu'il connaissait, Dupont l'ayant écrit en 1908. On peut penser qu'il était sensible à ces vagues se brisant : ses trois vagues basques n'en finissaient pas, mais celles de La Glu, bretonnes comme son ami Guy Ropartz, pouvaient être considérées. 
Il mentionne Iphigénie. C'est Iphigénie en Tauride de Glück ; il en parle dans son article : il vient de la faire représenter à Saint Jean de Luz, adaptant les danses traditionnelles basques aux traditions françaises de chorégraphie, notamment pour le célèbre ballet des Scythes. L'œuvre avait été jouée auparavant avec la mezzo-soprano Jeanne Raunay (Charles Bordes lui avait dédié en 1901 sa mélodie sur le poème de Camille Mauclair "Mes cheveux dorment sur mon front...") 
qui accepterait de la reprendre. "Georgette qui s'offre" c'est évidemment Georgette Leblanc qui avait chanté Télaïre dans Castor et Pollux de Rameau, recréé par Charles Bordes à Montpellier en 1908, "dans un style pathétique et noble" écrivait Musica en avril 1908.
Il cite aussi l'Anacréon de Rameau. Charles Bordes en a repris le manuscrit pour une représentation à Bagatelle en juin 1909. L'argument en est simple : Chloé et Bathylle s’aiment et admirent le poète Anacréon, qui se joue d’eux en prétendant qu’il s’apprête à célébrer son union avec Chloé. Les chanteurs qui l'avaient créé, Lucy Vauthrin (de l'Opéra Comique, dans le rôle de Chloé), Rodolphe Plamondon (de l'Opéra, celui de Bathylle) et Edmond Monys (de la Schola, Anacréon) sont nommés. Sans doute Charles Bordes parle d'argent, des cachets des unes et des uns, des spectacles qui ont lieu ou qui peuvent revivre ("Chauffez le projet" écrit-il tout à la fin).
 
On trouvera ici une version moderne du ballet final https://www.youtube.com/watch?v=6a9oIN3YNgQ
.

C'est le Charles Bordes fervent de la musique baroque et auteur de son renouveau qui apparaît. En juin 1903 il avait fait reprendre La Guirlande de Rameau à la Schola Cantorum, après une interruption de plus d'un siècle.
Il signe sa lettre avec fermeté et le post-scriptum des initiales de son prénom. 

Dans deux mois il sera mort.
Le musicien témoigne.
Encore une fois, après la lecture de cette lettre, écoutons l'hymne à la liberté de Choriñoak kaiolan.


 

[- Une transcription de cette lettre peut être utile. La voici :
le 4   9bre   1909
    Cher ami
    Est ce indiscret de vous demander de me faire envoyer par le caissier de Musica les cent balles de mon article vous savez que je suis loin d’être riche et ici dès que j’y refous les pieds c’est une mine de petites dettes criardes qui m’assiègent et auxquelles j’ai peine à faire face. Sans compter la renomée
(sic) Schola montpelliéraine qui ne m’a jamais rapporté un sou mais coûté des sacrifices énormes. Et ils disent que la vie monte !! C’est pourquoi je vous offrais de m’envoyer toutes les fois que vous le pourrez et que vous n’irez pas dans les villes du midi où peut se faire des choses intéressantes musicales avec documents photographiques pour Musica ou encore Concert illustré. C’est pourquoi je vous parlais de la Tétralogie à Monte Carlo et la Glu de Dupont à Nice. Irez-vous ?
    Mille bonnes amitiés mais pensez aux cent balles je vous en prie.
    Mille amitiés.
    
    Charles Bordes

    
    Merci toujours pour ce que vous ferez pour moi. J’ai écrit à Marsic. Je lui ai proposé une soirée
 / pour le 1er oct. Iphigénie et Anacréon  pour 3000 balles pour le cachet d’Iphigénie qui pourrait être Mme Raunay qui accepte en principe. Je vous parle pas à vous de Georgette qui s’offre !!... Pour Anacréon les créateurs à Bagatelle. Vauthrin,  Plamondon et Monys.
    Chauffez le projet et merci d’avance 
    
    Ch

Cette lettre provient du Fonds Cassanea.

- Photographies (9) :
     - la lettre (recto et verso)
     - la maison basque (couverture de Douze chansons amoureuses du Pays Basque français)
     - les 2 pages de l'article dans Musica n°86 de novembre 1909 (merci à l'INHA)
     - trois détails de cet article
     - la signature de Charles Bordes.
 
-Liens : d'un clic sur les mots gris et soulignés, vous trouverez des informations supplémentaires.]

BC

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20 janvier 2019 7 20 /01 /janvier /2019 21:10

« Vous m’excuserez auprès du Père hôtelier de garder un peu de pain dans la huche pour les petits moineaux. »
C’est ce que Charles Bordes écrit à Dom Mocquereau, le 17 juin 1899, juste avant l’arrivée à Solesmes d’une trentaine de scholistes.
Cette photo qui montre Charles Bordes au milieu de quelques « petits moineaux » est, comme la photo sur le billet précédent, dans le livre de Patrick Hala Solesmes et les musiciens (vol.1, La Schola Cantorum), Éditions de Solesmes, 2017. Nous remercions le Père Hala de nous l’avoir communiquée.
Peut-être vous souvenez-vous d’un billet de 2010 intitulé « Pour qui chante-t-on ? ». La fin d’un article de Félicien Grétry (Musica, n°24, septembre 1904) était citée et disait : « dans un coin, à l'ombre d'un pilier complaisant, quelque petit paysan écoutait, la bouche entr'ouverte, les yeux pleins de joie, les rythmes allègres, les entrelacs lumineux des : Allons gay gay bergères de Costeley ou les grâces piquantes de Joli-jeu de Clément Jannequin. » On peut trouver insupportable le ton condescendant de l’article ; l’auteur écrit dans une revue « bourgeoise », mais il est bien conscient du problème que pose une musique « savante » par rapport à son public, en particulier populaire.   
Ici, avec cette photo, nous sommes loin des airs Renaissance mentionnés par Musica, mais dans une musique austère, encore plus « savante ». Des enfants, en toute simplicité, y consacrent leur vie.
La photo évoque aussi un autre aspect ; il s’agit du choix existentiel de Charles Bordes. Le nom de pater qui lui était souvent associé est ici pleinement illustré. Et il y a autre chose encore : le compositeur a sacrifié son œuvre (ses mélodies, ses pièces instrumentales, son opéra) à son travail d’enseignant. Il sert la musique ; c’est un créateur.

 

BC

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16 janvier 2019 3 16 /01 /janvier /2019 16:44

L’essentiel de cette photographie a été publié dans ce blog, le 25 février 2012, dans un billet sur le chant grégorien. Elle provenait du numéro 155 de la revue Zodiaque de janvier 1988, consacré à Déodat de Séverac. Celle-ci, plus complète, provient des archives de l’abbaye de Solesmes ; elle apparaît dans le livre de Patrick Hala, Solesmes et les musiciens (vol.1), dans le premier cahier de photos, p. 13, sous le numéro 29. Nous remercions ici Dom Hala de l’autorisation de la montrer à nouveau aux lecteurs de ce blog.

En juillet 1897, Charles Bordes conduisit à l’abbaye de Solesmes une douzaine d’élèves de la Schola Cantorum pour « faire du grégorien » (lettre à André Pirro du 14 juillet 1897, BNF). Parmi eux, son ami Paul Poujaud. 

Dans sa thèse, Bernard Molla parle du chant grégorien et des voyages, celui de 1897 et celui de 1899 (cf Tome 2, pp. 280-327 et Tome 3, pp. 187-284 et 270-284). Dans le livre de Patrick Hala, le voyage de 1897 et celui de 1899 sont analysés (pp. 190-5 et 250-8) avec d’abondantes citations de la correspondance, en particulier avec Dom Mocquereau.

Nous sommes dans la bibliothèque de Solesmes, pour l’atelier de paléographie musicale. La photo est peut-être prise par Carlos de Castéra. On voit, au premier plan à gauche, Déodat de Séverac. Debouts, nous regardant, de gauche à droite René de Castéra et Paul Poujaud, puis (assis) Charles Bordes ; debout à sa gauche, Léon Saint-Requier (dont la tête bouclée atteint l'étagère horizontale du rayonnage supérieur). Au centre, Dom Mocquereau montrant un passage sur un livre, puis Dom Delpech. Plus à droite les quatre autres personnes ne sont pas pour le moment déterminées, sauf Abel Decaux au premier plan.

BC
 

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8 décembre 2013 7 08 /12 /décembre /2013 21:13

L'image traditionnelle de Charles Bordes est celle d'un homme qui par son énergie a su rétablir la musique liturgique en France, allant sans arrêt de l'avant. (En vérité, ni le plain-chant, ni Palestrina, n'étaient oubliés au moment de la création des Chanteurs de Saint Gervais, mais ce n'est pas notre sujet.)

Ce sont des études musicales enlevées où l'intuition remplaçait l'effort (c'est ce que dit Bréville), la joie de vivre dans le milieu artistique de la Nouvelle Athènes (voir les billets "Rue de La Rochefoucauld" du 13 février 2013 et "1884" du 5 septembre 2013), la "bonne musique" avec les Chanteurs de Saint Gervais dans l'église Saint Gervais et en tournée "de propagande", sans oublier Saint Julien des Ménétriers au cœur de L'Exposition Universelle de 1900.

Il y a cette photo (Musica, n°71, août 1908, p. 119) d'un Charles Bordes souriant, dirigeant ses choristes avec calme et sérénité.

Il y a l'épanouissement du pédagogue avec la Schola, d'abord petite mais débordante, puis, dès 1900, dans ces nobles locaux de style baroque.

 

Déjà, certaines choses doivent être corrigées de cette image idyllique. Par exemple, le bon sens et le réalisme n'étaient jamais oubliés par Charles Bordes. Les actions entreprises – Chanteurs de Saint Gervais, Schola Cantorum – étaient cautionnées par Paul Poujaud, juriste et ami, qui conseillait déjà la Société Nationale et Vincent d'Indy à titre personnel. Ainsi, les Chanteurs de Saint Gervais ont un statut indépendant. Ils pourront continuer d'exister quand Charles Bordes sera "salement" renvoyé de sa fonction comme Maître de Chapelle de l'église Saint Gervais. Comme on l'a vu dans le précédent billet, Vincent d'Indy insiste sur l'appartement, la pension, etc. dont jouit Charles Bordes. Tout en faisant la part de la rancœur de Vincent d'Indy, il demeure que Charles Bordes n'est pas ce Saint François, ce "poverello" que voyait Louis Chauvet et les autres hagiographes.

Citons, pour terminer ce point, l'affaire de la locomotive. Il en a été question dans ce blog (billet "15 rue Stanislas, un pur hasard" du 10 avril 2013) mais nous nous sommes trompés. Voyant la locomotive pendant de la façade de la Gare Montparnasse après le fameux accident, Charles Bordes aurait détourné ses pas et trouvé par "un pur hasard" le local à louer de la rue Stanislas où il allait installer la 1ère Schola. C'est ce que nous dit Castéra. Il fait une erreur sur la date de l'accident ; il le situe en mars 1896 et non en octobre 1895, pour que cela coïncide avec les dates de l'ouverture de la Schola. Or ce n'est pas par "un pur hasard" que Charles Bordes est allé rue Stanislas. On peut supposer que l'ouverture de la Schola en ce lieu avait été mûrement réfléchie. Il connaissait l'abbé Ernest Hello qui s'occupait du Patronage de Nazareth (propriétaire des lieux) pour avoir composé "Le drapeau de Mazagran", ce "chant de promenade pour les patronages", dont les paroles étaient écrites par son neveu, l'abbé Henri Hello. Ce texte n'a pas encore été retrouvé, mais nous savons que la mélodie a été publiée en 1895.

Avec la Schola, les tournées des Chanteurs de Saint Gervais, le souffle manque parfois. Charles Bordes est écrasé par le travail, c'est un point fréquemment souligné. Bernard Molla cite des extraits de lettres particulièrement révélateurs : "Pardonnez-moi mon silence, je suis absolument accablé de besogne." (8 février 1895) ou encore "Je quitte la Schola où je vis double, pour arriver ici où l'on vit triple. Je suis absolument sur les dents. (10 août 1897) ; parfois, la fatigue physique et le stress virent au problème psychologique.

Il y a des pauses, des moments d'apaisement comme ce sourire du chef de chœur heureux, ou, jeune homme, quand il chante sur les chemins allemands, tel Jean-Christophe, ou rêve au Prince Impérial (voir ses lettres à Jules Chappée).

Il emmène amis et élèves à l'Abbaye de Solesmes et se plonge dans l'étude des antiphonaires avec le Père Mocquereau. On le voit sur la photo, devant les précieuses partitions (Zodiaque, n° 155, janvier 1988). Il y a aussi les étés, souvent studieux, dans les Pyrénées, au Pays Basque ou dans le Roussillon.

Cette vision d'équilibre, nous l'avons aussi à travers les lettres. Mais la correspondance de Charles Bordes que nous connaissons grâce à l'apport inappréciable de Bernard Molla, reste incomplète. Et il y a des faits troublants.

L'été 1883, sa mère meurt à Fontainebleau et il écrit à son ami Jules Chappée de venir se promener en forêt : il veut nier l'inéluctable fait. L'année suivante, l'été encore, malade, il choisit d'écrire une mélodie sur le poème de Baudelaire Recueillement. C'est cela qui emplit le calme de Millas. Le premier vers du sonnet : "Sois sage, ô ma douleur…" a été comme une révélation. C'est précisément ce que fait Charles Bordes devant ce deuil. Il le cache. Il l'intériorise. Le poème a probablement d'autres attraits pour lui mais celui-ci vient en tête. Il est satisfait de son travail qu'il dédie à Paul Poujaud pour aussitôt l'oblitérer, sans doute par respect pour Duparc (voir notre billet du 10 décembre 2012). Jusqu'à la néantisation car l'opus 6, attribué à cette mélodie, disparaît et deviendra en 1887 celui de la Suite Basque.

Cette joie de vivre, d'apprendre et de créer n'est pas pure ; le christianisme qui l'imprègne totalement doit s'accommoder de l'existence du mal et du péché, et il sait déjà ce qu'il écrira plus tard, que "le Bon Dieu n'est pas toujours très juste" (lettre du 1er mars 1897).

Nous avons mentionné ses "voyages de propagande" avec les Chanteurs de Saint Gervais. Bernard Molla parle du "démon du voyage" ; plus de 200 villes ont été "évangélisées" ou "conquises". Sa thèse en parle longuement et publie d'éloquents tableaux (Tome I, chapitre V, pp. 176-219)  ; nous sommes impressionnés par la carte de France montrant les villes visitées  (p. 219). Charles Bordes jongle avec les horaires des chemins de fer que par nécessité il connaît par cœur. Il y a aussi chez lui un goût, un besoin psychologique, de quadriller l'espace. Nous sommes frappés par une lettre écrite à Jules Chappée (donc des années avant les fameuses tournées) où il esquisse pour son ami un voyage à travers la France, l'Allemagne et  l'Espagne. Lui-même parcourra ces pays et aussi la Suisse, la Belgique, l'Italie (cf Bernard Molla, thèse, Tome I, pp. 162-175). C'est une mise en ordre du chaos en proposant des points et des lignes et en entraînant les autres. Suivent-ils ? On ne sait pas pour Jules Chappée. On doute. Pour les autres, ça va mieux, les choristes suivent. Bréville, dans le discours de Vouvray, raconte l'histoire du vin de kola pour les hommes et pour les femmes, "bien fatigués" (Les Tablettes de la Schola, juin 1923).

Le voyage continue. "Ça a l'air de marcher comme ça…" (lettre à Guy Ropartz, 1er mars 1897). Quand le réel résiste, Charles Bordes courbe l'échine. On connaît la frustration exprimée contre la Caisse des Dépôts et Consignations (cette rosse de Caisse) qui l'empêche de faire de la musique… pour 50 francs par mois !  Son frère Lucien s'est éloigné vers Rouen avec son violoncelle, après 1890, sa femme Léontine Bordes-Pène atteinte de sclérose en plaques ne se produit plus en soliste et donne des leçons de piano en ce Rouen qu'elle ne quitte plus. Avec son frère Lambert (qui porte orgueilleusement le prénom du grand-père Bonjean ; il est né en 1857), ça ne va pas. Il y a des griefs, qu'on imagine à caractère financier. Il meurt âgé de 40 ans en mars 1897. Charles Bordes écrit "sa mort prématurée m'a fort affecté" (lettre du 26 mars 1897). Il est lui aussi enterré à Vouvray, dans le caveau familial.

Cette Touraine de l'enfance est marquée par les deuils, son père Frédéric en 1875 (Charles Bordes avait 12 ans) ; la vieille servante Jeannette (voir dans le blog le billet "Tombe" du 3 septembre 2011) en 1880 ; sa mère, on l'a vu, en 1883 (à Fontainebleau, mais enterrée à Vouvray ; le curé Charles Mauduit qui l'avait baptisé, mort en 1886.

 

Une des dernières mélodies composées par Charles Bordes sera sur le poème de Verlaine :

Ô mes morts tristement nombreux

La foi y est vive mais non triomphante.

De même, le poème de la dernière mélodie (Paysage majeur, de Louis Payen, 1908 pour la mélodie) exprime le doute :

Et j'élève mon coeur, ce coeur irrésolu
Qu'attriste son bonheur et que charme sa peine

On pense à ces dernières années vécues par Charles Bordes. Bien avant l'attaque d'hémiplégie de décembre 1903, il a eu souvent des problèmes de santé (physiques, certes, mais avec un retentissement sur le moral, par leur fréquence même). Cela va de banales intoxications alimentaires, sans doute liées aux repas pris à la hâte et à la nourriture des restaurants, aux "jambes phlébitiques" en passant par l'érysipèle facial de juin 1897 (Bernard Molla, thèse, Tome III, p. 147). Après la crise de 1903, Charles Bordes se réfugie à Montpellier pour que le soleil le réchauffe comme dans le poème de Louis Payen. Il vit au Mas Sant Genès et son activité musicale continue, défi à la déchéance par la création d'une Schola, la composition de mélodies, la diversification vers le baroque, etc. C'est une image mélancolique, triste et joyeuse à la fois, que nous donne François-Paul Alibert dans sa chronique nécrologique de L'occident (février 1910) qu'il reprend dans Charles Bordes à Maguelonne (1926). Entouré d'images d'anges, il joue Monteverdi de sa seule main valide. Il sauve la musique du passé, y compris dans ses racines populaires. C'est le sujet du Congrès de Montpellier en 1906. La Schola Cantorum publie à partir de 1907 la revue Les chansons de France. Une édition se prépare des Douze Chansons amoureuses du Pays Basque français (le livre paraîtra en 1910).  

Et la création musicale ? L'opéra Les Trois Vagues dont Charles Bordes avait joué une version pour piano à Bruxelles est interrompu. Charles Bordes ne veut, ne peut plus conclure. Il sait. Cet opéra inachevé, c'est un échec. S'occuper d'autre chose est plus facile. Déjà, le 4 décembre 1896, il écrit, depuis la rue Stanislas : "Hélas mon ouverture ! Des rêves, et pourtant je le chéris mon cher drame." On peut facilement imaginer le poids que cela prend dans la dépression existentielle de Charles Bordes.

Certains diront : "Quoi de plus normal que cette fin déprimée ?" N'oublions pas que Charles Bordes était jeune. Il n'avait que 46 ans quand il est mort. La tristesse est partout dans sa vie. Il suffit de regarder rapidement les titres et les sujets de ses mélodies : séparations, échecs, lamentations. C'est le reflet d'une conscience tourmentée.

 

Lisons ce passage de la lettre adressée à Guy Ropartz qui vivait "l'affreuse tourmente" de la maladie de ses "pauvres bébés" ; Charles Bordes se confie : "Quelles épreuves ! Vraiment le Bon Dieu n'est pas toujours très juste. On ne peut être parfaitement heureux, il faut toujours payer son tribut. Pour ma part j'en sais quelque chose car j'ai des moments de tristesse profonde. Ça a l'air de marcher comme ça, mais l'avenir peut être gros de nuages. Je ne voudrais pas finir comme Chabrier mais il y a des moments où je me vois gaga. Que je vous envie votre magnifique équilibre, votre santé, votre force morale. Pauvre névrosé que je suis !" (lettre du 1er mars 1897).

Le doute du croyant n'est pas exceptionnel. Mais il y a là le début d'une prise de conscience de l'injustice divine. On entend presque l'argument d'Epictète : "Comment Dieu, tout puissant par définition, peut-il être impuissant devant le mal et laisser faire ?" Sans faire un athée du franciscain qu'est Charles Bordes, ce doute qu'il exprime touche à quelque chose de fondamental. En outre, alors qu'on peut supposer que c'est Ropartz qui souffre dans la lettre citée ci-dessus, il est remarquable de voir Charles Bordes s'apitoyer sur lui-même. Cette révolte se retrouve chez le compositeur dans plusieurs mélodies, ainsi le cri :

Du courage ? Mon âme éclate de douleur

nous le lisons dans le poème de Francis Jammes, certes, mais Charles Bordes le fait sien. Nous sommes en 1901 quand il écrit cette mélodie, ce n'est plus "Sois sage ô ma douleur" de 1884, mais c'est la même névrose.

Charles Bordes, homme d'action déprimé. Au-delà de l'oxymore, nous voyons un cyclothymique, passant de l'optimisme au pessimisme. La dépression existait depuis longtemps. L'image d'Epinal d'un Charles Bordes doué pour l'action et la réussite ne correspond pas à la réalité.  

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24 novembre 2013 7 24 /11 /novembre /2013 18:45

Il nous manque encore bien des éléments pour parler de façon complète de Charles Bordes. Une partie importante de sa correspondance a été publiée dans la thèse de Bernard Molla (c'est le précieux Tome III), mais il y a d'autres lettres. Nous ne savons rien, par exemple, des échanges épistolaires avec Paul Poujaud. Il y a bien des choses en commun entre Vincent d'Indy et Charles Bordes. La musique d'abord, bien sûr, pour laquelle ces enfants de César Franck avaient un grand amour. Vincent d'Indy avait quelques années de plus que Charles Bordes (douze ans), mais ils avaient les mêmes maîtres et les mêmes admirations. Plusieurs fois, séparément puis ensemble, ils avaient fait le pèlerinage de Bayreuth et vouaient à Wagner un culte profond, tout en étant tiraillés, comme bien des musiciens français de cette génération, entre l'Allemagne et la France (voir Wagnérisme et création en France, 1883-1889, de Cécile Leblanc, Honoré Champion, 2005).

Comme beaucoup d'autres, ils cherchaient (et trouvaient) dans le terroir des éléments d'inspiration. On pense à la Symphonie sur un chant montagnard (1886) de Vincent d'Indy ou à la Suite basque (1887) de Charles Bordes. On trouverait chez d'autres une inspiration semblable ainsi Guy Ropartz avec son Dimanche breton (1893), Joseph Canteloube et ses Chants d'Auvergne, et Fauré, Déodat de Séverac, Debussy, etc. Paul Poujaud, musicien secret, mais aussi conseiller juridique de Vincent d'Indy et ami de Charles Bordes, avait noté un chant de sa Creuse natale pour César Franck (voir l'article d'Amédée Gastoué en 1937, dans la Revue de Musicologie, Tome 18 n° 61-64, pp. 33-38).

Cette source d'inspiration nous entraîne aussitôt sur le terrain politique. Le culte de la région (qui avait son modèle en littérature chez Mistral) renvoyait à une France de droite, voulant maintenir les traditions du passé. Un exemple en est La Cansoun dis Avi ( = chanson des aïeux) publiée en 1906 sur le texte provençal de Mistral, qui a pour sous-titre : "Èr poupulàri, noutà per C. Bordes". Ce dernier connaît le domaine occitan. La Schola publiait, aussi en 1906, les Onze chansons du Languedoc qu'il avait notées, mais sa source essentielle, c'est le Pays Basque. C'est une culture autre, une langue autre, non latine, et cependant une musique où il retrouve le plain-chant et aussi (dans la danse par exemple) l'esthétique baroque. Sans qu'il l'exprime clairement, Charles Bordes est ailleurs. En France ? Non, en musique. Il faut ajouter que pour lui la vérité artistique se trouve dans le peuple. En exergue de sa Rapsodie basque, il cite cette phrase de Schumann (oui, Schumann : nous sommes bien en musique) : "Ecoutez attentivement la chanson populaire, c'est la source inépuisable des plus belles mélodies."

 

Rapidement, deux mots sur l'arrière-plan politique des débuts de cette 3e République. Il y a eu la défaite de la France dans la guerre franco-prussienne, avec un regain de nationalisme (qui fera, comme on sait, des milions de morts au cours de la Première Guerre Mondiale). Il y a l'établissement de cette République contre une monarchie traditionaliste. Il y a l'Affaire où autour du cas Dreyfus on retrouve l'affrontement entre le nationalisme et les valeurs républicaines.

Charles Bordes est issu d'une classe de propriétaires ruraux ruinés (dans ce cas par le phylloxéra). Fils de "Marie de Vouvray", élève de Marmontel au Conservatoire, il va où l'on fait de la "bonne musique" : c'est César Franck, Saint Gervais, et aussi la Schola. Il reste neutre politiquement. Adolescent puis jeune homme, il avait montré une admiration et même un certain amour pour le Prince Impérial. Cela s'exprime dans ses lettres en particulier à son ami Jules Chappée (cf thèse de Bernard Molla, Tome III, pp. 33-44). Il écrit depuis Carlsruhe en mars 1881 : "devant moi le portrait du prince qui me fait bien l'effet d'un ami quand je le regarde" (p. 35). Or le Prince Impérial a été tué en 1879 au Zoulouland. Certes le parti bonapartiste a continué après lui, affaibli, et a accepté la République. Charles Bordes était peut-être bonapartiste (nous n'oublions pas que son père, Frédéric, avait été nommé Maire de Vouvray sous le Second Empire), mais c'est d'abord une personne qu'il aimait. On notera avec intérêt ce que Paul Verlaine (que Charles Bordes lisait) a écrit du Prince Impérial (dans Sagesse XIII, publié en 1881) :

J'admire ton destin, j'adore, tout en larmes
Pour les pleurs de ta mère,

Dieu qui te fit mourir, beau prince, sous les armes,
Comme un héros d'Homère.

Il y a là un "culte de la personnalité", mais lorsqu'il écrit :

Prince mort en soldat à cause de la France,
Âme certes élue,
Fier jeune homme si pur tombé plein d'espérance,

Je t'aime et te salue !

Il y a aussi une vision politique vers l'avenir. Verlaine fait preuve d'une perception réaliste : si le Prince Impérial a accepté de se battre sous l'uniforme britannique, c'est pour que le futur empereur des français ait une image glorieuse. C'est ce qu'il dit avec "à cause de la France".

 

En ce qui concerne Vincent d'Indy, son milieu social penchait vers la monarchie. Après le Second Empire, un roi était possible avec le Comte de Chambord. On ne s'étendra pas ici sur l'aspect irréductible (le drapeau blanc et non le drapeau tricolore) du petit-fils de Charles X. Sa mort en exil (1883) a marqué la fin du légitimisme qui ne s'est pas rallié à la République (à la différence du bonapartisme). Vincent d'Indy, issu de la petite noblesse ardéchoise en partage les idées politiques, le nationalisme, l'autoritarisme, l'antisémitisme (il est membre de la "Ligue de la Patrie Française"). Ces opinions déteignent sur la musique. Il a lu et annoté l'essai de Wagner Das Judentum in der Musik (Le Judaïsme et la musique) ; il écrit La légende de Saint Christophe, son "drame antijuif" (les dindystes dédouanent Vincent d'Indy en disant curieusement qu'il n'est pas responsable de la mise en scène). Le billet qui lui est consacré dans le blog (14 mars 2012) reprend ces points en détail. On notera qu'il était membre fondateur de la Ligue de la patrie française. Le nom de son ami Pierre de Bréville (qui est aussi le camarade d'études de Charles Bordes dont, plus tard, en 1914 et 1921, il réunira et éditera les mélodies) figure parmi les souscripteurs du monument Henry, au cœur de l'Affaire.

Le rôle social et politique de la Schola Cantorum est ainsi résumé dans la phrase d'Andrew Thomson : "a hotbed of bigoted catholicism, anti-semitism, and extreme nationalism" (Vincent d'Indy and his world, Oxford University Press, 1996). Charles Bordes n'est pas en cause. Comme on lit dans La Tribune de Saint Gervais de février 1920, "il était consacré à Notre-Dame-la-Musique ".

En 1899, en Avignon, de vifs incidents opposent républicains anticléricaux et les participants des "Assises de musique religieuse et d’art" organisées par la Schola Cantorum. Vincent d'Indy exprime son opinion de droite. La tribune de Saint Gervais en octobre 1899, sous la plume de Jean de Muris,  parlera des "menées socialo-maçonniques" des "sans-patrie d'Avignon". Pour Charles Bordes la musique passe d'abord ; son habit est peut-être déchiré, mais il se tait.

 

Il y a cette photo de 1900 qui montre les fondateurs de la Schola Cantorum, Alexandre Guilmant, Vincent d'Indy et Charles Bordes. Nous l'avons longuement analysée dans ce blog (billet "Rue Saint Jacques", 22 avril 2013). C'est Vincent d'Indy le conquérant, et on voit, sur la photo, qu'il se dresse contre Charles Bordes. Dans la vie, il prend les rênes de la Schola. Il exprime son point de vue, en particulier politique, dans le discours qu'il fait, le 2 novembre 1900, pour l'inauguration des locaux et la rentrée, "Une école de musique répondant aux besoins modernes" (voir La Tribune de Saint Gervais, n°11, novembre 1900, pp. 303-314).

Pour ce qui est du fonctionnement de l'institution, la vision traditionnelle a retenu Charles Bordes en rêveur intuitif et Vincent d'Indy en réaliste. Cependant, dès le début, Charles Bordes s'occupe de recruter pour la Schola Cantorum des enfants qui chantent et ensuite de veiller sur leur situation matérielle (voir Dix ans d'action musicale de René de Castéra dans La Tribune de Saint Gervais, par exemple en mars 1901). On peut y voir une réponse anticipée à la critique du caractère élitiste de la Schola et des Chanteurs de Saint Gervais ; (voir à ce sujet le billet "Pour qui chante-t-on ?" du 23 octobre 2011, sur l'article dans Musica n°24 de septembre 1904). Tout en maintenant un contexte religieux, il insiste sur la neutralité de l'école où la musique doit être l'unique préoccupation. C'est une préoccupation soulignée déjà par les statuts des Chanteurs de Saint Gervais (1892) dont l'article 4 disait "Toutes discussions politiques ou religieuses  sont rigoureusement interdites" (Tribune de Saint Gervais, mai 1900, p. 146).

 

La publication en 2001 chez Séguier du livre Ma vie. Correspondance et journal de jeunesse par Marie d'Indy apporte un éclairage intéressant sur Vincent d'Indy et ses contemporains. Les réactions des correspondants ne sont pas données, mais il est quelquefois possible de les imaginer, dans le silence de la lecture. Concernant Charles Bordes, Vincent d'Indy renvoie à une vision conventionnelle qu'il mêle à un point de vue critique. Dans une lettre nécrologique du 9 novembre 1909 il écrit à Jean de La Laurencie (son gendre) : "Malgré ses défauts, ce pauvre Bordes était un artiste sincère, pas arriviste et aimant l'Art vraiment." Sous l'éloge, le dénigrement pointe ; il ajoute : "ses étourderies et ses gaffes nous manqueront". On trouve ailleurs cette image de Bordes irréfléchi. Ainsi dans cette lettre à sa femme Isabelle, le 17 juillet 1900 : "Bordes a fait la boulette, ce qu'il a dans la tête, il ne l'a pas aux pieds ! Il a loué la rue St Jacques et signé le bail à lui tout seul…" Et plus tard, dans une lettre à Alexandre Guilmant du 28 janvier 1904, "le pauvre Bordes" est présenté pour responsable du "désordre de notre pauvre administration". Par ailleurs, cet impulsif est aussi un profiteur qui n'oublie pas de penser à lui-même. Vincent d'Indy poursuit sa lettre à Guilmant (qui est comme lui membre du triumvirat, on voit ici le machiavélisme) : "Bordes sera logé à l'Ecole et une pension lui sera faite […]. Il aura donc une situation à l'abri de tout et pourra, quand il en sera capable, reprendre ses concerts de province dont le bénéfice lui restera acquis personnellement." Et Vincent d'Indy termine ainsi une lettre du 8 mai 1905 à Henry Cochin (député du Nord, membre de l'Action libérale, parti de centre droit des catholiques ralliés à la République) : "4000 livres de rente à fournir à Bordes (compris : son traitement, logement, bureau d'édition, chauffage !!!) Pour gagner tout cela… Il n'y a que moi !"

Faut-il plaindre celui qui s'est fait construire le château des Faugs ?

 

Sur le plan musical, les ombres entre les deux personnages sont plus nettes.

Vincent d'Indy écrit à Paul Poujaud, le 27 septembre 1889 : "Combien de basquaiseries a-t-il composées, sous forme de musique d'orchestre et de chambre ?" Vincent d'Indy oublie-t-il la place qu'avait Paul Poujaud dans la vie de Charles Bordes ? Veut-il faire rire ? Cet humour tombe à plat et on y voit surtout du mépris, pour les Basques d'abord, pour Charles Bordes ensuite. Venant d'un musicien, c'est une remarque surprenante. A-t-il écouté la Suite basque ?

Dans une longue lettre (30 octobre 1895) à Charles Bordes, Vincent d'Indy parle de son opéra L'Étranger et essaie de prouver qu'il n'a rien à voir avec Les Trois Vagues, opéra sur lequel Charles Bordes travaille. La différence entre L'Étranger et le projet de Charles Bordes a été montrée (Natalie Morel-Borotra, L'opéra basque, 1894-1933), la conclusion étant qu'il n'y a pas copie, emprunt, etc. Dans sa lettre, Vincent d'Indy développe ses arguments : "Mon drame, je vous répète qu'il n'a rien de commun avec le vôtre, […] c'est simplement humain et ça finit dans l'océan." Il ajoute : "à l'encontre de vos trois vagues, chez moi, on ne voit pas la mer du tout, le temps de la pièce ou si vaguement." Cette lettre contient des expressions qui révèlent que Charles Bordes vivait très mal ce que faisait Vincent d'Indy. Vincent d'Indy écrit : "Ne vous mettez pas martel en tête…" On passera sur le ton familier (mais il s'agit d'un sujet grave, touchant à quelque chose d'essentiel pour Charles Bordes) pour voir l'effet de L'Étranger sur Charles Bordes. Plus loin, Vincent d'Indy écrit : "Vous voyez qu'il n'y a pas de quoi vous tourmenter…" Cette lettre révèle qu'en fait Charles Bordes se tourmentait. Dans la mesure où il n'y a pas de réponse, la réaction de Charles Bordes est en creux : il avait le sentiment d'un empiétement. Nous irons plus loin. Nous déplorons l'inachèvement de l'opéra Les Trois Vagues ; Charles Bordes était-il trop modeste, ne voulant pas être le Compositeur (nous savons que Paul Dukas plaçait Les Trois Vagues aussi haut que Carmen) ? Négligeait-il, comme on l'a dit, son œuvre propre en faveur de la pédagogie ? Peut-être. Mais le compositeur était visiblement inhibé devant ce travail, et Vincent d'Indy porte une grande responsabilité.

 

Devons-nous, après cela, insister sur certaines mesquineries, comme celle-ci, rapportée par Vincent d'Indy (lettre à sa femme du 19 avril 1902), où il se plaint de ne pas avoir reçu pour un concert un cahier de partitions que Charles Bordes devait lui faire parvenir ? Il écrit : "J'ai maudit Bordes et son manque de soin […] aussi lui ai-je écrit tout à l'heure une lettre salée… je lui donne ma démission (bien décidé à la reprendre par ses supplications)." Faut-il y voir, de la part de Charles Bordes, un acte manqué ? Peut-être est-ce donner trop de signification à un incident mineur, lié à la vie des musiciens ? Il révèle cependant un climat malsain entre ces deux personnages.

 

Le 18 novembre 1909, Vincent d'Indy dirige les Chanteurs de Saint Gervais au cours de la cérémonie dédiée à Charles Bordes, dans l'église Saint Gervais à Paris. Pour des raisons professionnelles, il n'a pas pu venir à Toulon ou Montpellier, il ne sera pas à Vouvray le 20 janvier pour l'enterrement, mais son gendre est là.

Dans La Tribune de Saint Gervais de décembre, pieux numéro d'hommage à Charles Bordes, Vincent d'Indy écrit une notice sur "La place de Bordes dans l'enseignement musical" (pp. 9-10). Il en profite pour critiquer la République qui "négligea d'attacher à la boutonnière de ce créateur d'une œuvre éminemment sociale et française, le ruban distinctif  [qu'elle] prodigue actuellement à ses valets…" Vincent d'Indy contribue à la "légende dorée" de ce "fécond remueur d'idées". Il parle de "l'artiste si ému qui a écrit les Trois Vagues et ses dernières mélodies…"

Nous pouvons douter de la sincérité de ces éloges. Nous savons les zones d'ombre qui séparaient les deux hommes.

 

[J'ai pris cette photo le 20 avril 2013. On reconnaît l'escalier de la Schola.]

 

 

BC

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2 novembre 2013 6 02 /11 /novembre /2013 09:14

 

tombe, la pierre, 2809 

 

 

[En ce jour des morts, voici la photo faite en octobre 2009 de la pierre disparue. Pour en savoir plus, lire le billet : "Tombe" du 3 septembre 2011. On y voit une autre photo de la pierre.]

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 18:19

Exposition-Universelle-1900--ticket.jpg

En suivant les pas de Charles Bordes, de la rue de La Rochefoucauld à la rue Saint Jacques, en passant par Nogent-sur-Marne, la rue Stanislas, sans oublier "cette rosse de caisse", nous voici à l'Exposition Universelle de 1900. Plus tard, dans un mois, dans un an, nous irons vers le sud, la place Saint Ravy, le mas Sant Genes et Maguelonne. Aujourd'hui, Paris encore, où les Chanteurs de Saint Gervais n'ont pas économisé leur énergie pendant les 212 jours de l'Exposition, d'avril à novembre.

Vous en avez vu le panorama, montré en en-tête du papier à musique sur lequel Charles Bordes avait recopié une mélodie écrite quatre ans plus tôt sur le poème de Verlaine La Chanson d'automne : "Les sanglots longs / Des violons / De l'automne / Bercent mon coeur / D'une langueur /Monotone. " L'image ne convient guère au texte.

Exposition-universelle-1900--vue-sur-en-tete.jpg

Voici encore cet en-tête, très flou car l'image est passée par bien des copies, et le rédacteur de ce blog n'a pas pu en obtenir une plus nette. Par la joie qui s'en dégage, on dirait du Guardi, une vue du Grand Canal. Sur une photo (Léon et Lévy), voici ce qu'on voyait depuis le Pont Alexandre III, en regardant à gauche, avec la Tour Eiffel dans le fond :

Exposition-Universelle-1900--vue--photo-Leon-et-Levy.jpg

 

L'Exposition Universelle de 1900 est abondamment documentée ; voyez les photos d'André Bujeaud, dans les Archives de Vendée.

Si on allait plus loin vers l'ouest, depuis le Pont des Invalides, en regardant à droite cette fois, voici ce qu'on voyait :

Exposition-Universelle-1900--Le-Vieux-Paris--b--archives-Be.jpg

C'était le Vieux Paris, ville médiévale reconstituée, Albert Robida étant l'architecte en chef. Certes, il y avait quelque chose d'un décor, comme on voit sur ce dessin de Robida,

Exposition-Universelle-1900--Vieux-Paris--construction-de-l.jpg 

mais nous ne suivrons pas certaines expressions méprisantes qu'on peut lire sur le Vieux Paris, comme "constructions de carton-pâte". Cet assemblage de tours, d'encorbellements, d'ogives, était peut-être hétéroclite, mais il faisait rêver et il a donné de la joie à des milliers de gens. On verra avec intérêt la fabrication de la maquette de l'ensemble reconstitué dans le site qui lui est consacré. On verra, en particulier, les découpages proposés par l'imagerie d'Epinal.

Vous voyez sur la photo le chevet de l'église. Une gravure nous montre la porte d'entrée principale du Vieux Paris

Exposition-Universelle-1900--Le-Vieux-Paris--entree.jpg 

et une autre le portail de Saint Julien des Ménétriers.

Exposition-Universelle-1900--Saint-Julien-des-Menetriers-.jpg

Une photo montre ce même parvis avec des mélomanes attendant un concert.

Exposition-Universelle-1900--Saint-Julien-des-Men-copie-1.jpg

Dans la Tribune de Saint Gervais, de nombreux articles parlent de l'église du Vieux Paris. En novembre et décembre 1900, on lit Les jongleurs dans l'histoire, deux longs articles de Pierre Aubry. L'église du Vieux Paris avait été nommée en l'honneur de ces "ménétriers", musiciens et aussi jongleurs. Nous avons dans ce blog évoqué "le jongleur de Notre Dame", ce moine qui exprimait son amour pour la Sainte Vierge en lançant des balles.

On sait que l'Eglise n'a jamais beaucoup aimé les théâtreux ; il y a dans cette présence à l'Exposition Universelle l'expression d'une revendication que reprend, sans l'exprimer clairement, la Schola Cantorum.

Plus tôt, et tout au long de l'année 1900, une chronique de Jean de Muris nous dit ce qui s'est fait à l'Exposition Universelle ; elle est intitulée Les petites heures de Saint Julien des Ménétriers. Le répertoire est vaste ; les Chanteurs de Saint Gervais sont entendus dans le contrepoint vocal du 16e siècle, dans les motets et histoires sacrées des maîtres de la basse continue du 17e siècle. Des noms de compositeurs apparaissent : Palestrina, Roland de Lassus, Vittoria, Carissimi, Charpentier, Du Mont, etc. Les œuvres sont pour l'essentiel de caractère religieux, et la Tribune de Saint Gervais prévient (février 1900, p. 93) : "quant aux œuvres exécutées, elles iront du chant grégorien le plus primitif à la musique religieuse moderne, même celle que la Schola Cantorum condamne comme étant peu propre à s'associer à la liturgie."

Dans le débat sur les œuvres non liturgiques à l'église, l'exécution du Messie de Haendel à Saint Eustache en décembre 1899 avait déclenché une polémique entre les journaux et l'Archevêché de Paris. Ce dernier contestait l'opportunité d'utiliser une église comme lieu de concert. La Schola était officiellement de même opinion. On lit sous la plume de G. de Boisjolin dans la Tribune de Saint Gervais de janvier 1900 : "J'avouerai que je suis toujours choqué à l'église de l'exécution de toute musique qui n'a pas sa place dans la liturgie." Et plus loin dans le même article : "...nous avons toujours fait et admis la distinction de la musique d'église et de la musique religieuse de concert."

Saint Julien des Ménétriers à l'Exposition Universelle donnait une liberté nécessaire. Ainsi Charles Bordes avait condamné le solo d'église (Tribune de Saint Gervais, février 1898) dont le but était de plaire. Mais à Saint Julien des Ménétriers, il fallait précisément plaire. Les chanteuses (Jarvis  de la Mare, "une excellente mezzo-soprano", Marie de la Rouvière, soprano) furent mises en valeur et un groupe de chanteurs solistes fut organisé sous le nom de "Scholae Cantores" (Paul Gibert, basse, Jean David, ténor, Albert Gibelin, basse). Ces derniers étaient "très appréciés" dans l'exécution des maîtres du 17ème siècle, notamment Carissimi pour sa Damnatorum Lamentatio (Plainte des Damnés), ici dans l'interprétation dirigée par Martin Gester en 2003. 

L'affiche des concerts "Les petites heures de Saint-Julien-des-Ménétriers" que reproduit Bernard Molla (thèse, Tome I, p. 47) dit bien –c'est le sous-titre – que les "auditions musicales religieuses [sont] sans caractère rituel et liturgique" ; cela assurait la liberté des musiciens.

Exposition-Universelle-1900--Saint-Julien-des-menetriers-.jpg

Ces concerts furent un succès. Bernard Molla note (thèse, Tome I, p. 49) : "Officiellement plus de 60.000 personnes se succédèrent dans cette petite église de St. Julien. Ce chiffre tout à fait remarquable prouve combien Bordes arrivait à toucher en profondeur le public parisien."

On trouve dans la Tribune de Saint Gervais (mars 1900, p. 127) une expression frappante pour caractériser ces concerts : le "Musée par l'audition". Le travail didactique continuait ; à la sortie de Saint Julien des Ménétriers, on pouvait acheter les publications de la Schola Cantorum, notamment ce qui était édité à l'occasion de l'Exposition Universelle.

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22 avril 2013 1 22 /04 /avril /2013 18:53

Schola-2--c--perron-angle--BC--24-mai-12.JPG

Dès le début, le local de la Schola Cantorum rue Stanislas était trop petit. Tous le disaient. Il était, certes, indépendant des autres bâtiments et fort bien situé (boulevard du Montparnasse). Mais avec le succès de l'Ecole (10 enfants recrutés à la rentrée 1898), pousser les murs devenait impossible, même si on permettait aux jeunes scholistes de jouer dans la cour du patronage, au 11 de la rue Stanislas. Il est difficile de penser – comme il est dit quelquefois – que la décision de prendre le 269 rue Saint Jacques était une brusque lubie de Charles Bordes.

Dès la 2ème réunion pour établir les principes de la Schola Cantorum, le 15 juin 1894, Paul Poujaud était présent ; l'ami de Charles Bordes, avocat de son métier, était le conseiller juridique des activités des Chanteurs de Saint Gervais et de la Schola Cantorum. Le déménagement rue Saint Jacques était mûrement réfléchi. L'aspect financier était un problème aux solutions multiples ; outre les sommes produites par les droits d'écolage et "la maison de famille" (voir plus loin), les administrateurs de la Schola Cantorum savaient qu'ils pouvaient compter – comme auparavant – sur les dons des mécènes, de l'Archevêché au Prince de Polignac.

Charles Bordes est affectueusement surnommé le pater. Est-il le "patron" ? C'est un triumvirat qui dirige la Schola, et la célèbre photo des fondateurs est éloquente :

Schola-2--Fondateurs--SIM.JPG

Le perron, compte cinq marches, quatre sont arrondies, une est droite (celle du haut).

Schola-2--perron--BC--20-avril-13.JPG

Sur la photo historique des fondateurs, on ne voit pas la  première marche, plus bas. Alexandre Guilmant, en haut, à l'arrière, les deux pieds sur la quatrième marche du perron, est une caution, une garantie du sérieux que donne l'âge (il avait 63 ans quand la photo a été prise). Charles Bordes (37 ans ici) est concentré dans sa tâche : il tient des partitions, ouvertes, devant lui, et les lit. Seule la musique compte. Son pied droit est posé sur la deuxième marche, le gauche sur la troisième marche, mais comme il est présenté de profil, on voit peu ce déhanchement et la jambe gauche n'est que légèrement fléchie. Vincent d'Indy (49 ans), se détache à droite ; il est remarquable par son attitude conquérante, le pied gauche sur la troisième marche, le pied droit sur la quatrième, la jambe droite fléchie. Les mains sont très visibles, la gauche sur la hanche, la droite posée sur la cuisse. Il est le chef. Le billet qui lui est consacré dans ce blog souligne son emprise sur la Schola à partir de 1900.

La Schola Cantorum s'intègre au Quartier Latin. La "maison de famille" héberge ses étudiants (et d'autres, nous dit la tradition, les "personnes qu'un but sérieux amène à passer quelque temps dans le Quartier des Ecoles"). Un esprit amical y règne. Voyez, dans l'article consacré par Jean-Marc Warszawski à la Schola dans Musicologie.org, le recueil de dessins de 1903 où Charles Constantin brocarde gentiment professeurs et étudiants.

Un plan, au dos de la Tribune de Saint Gervais (décembre 1900), montre bien cet ancrage.

Schola-2--le-quartier--TSG-dec-1900--ensemble.JPG

Dans ce numéro de décembre 1900 de la Tribune de Saint Gervais, outre le discours pédagogique et idéologique de Vincent d'Indy, on trouvera le discours de rentrée d'André Hallays (du Journal des Débats), où il retrace l'histoire du quartier.  Après avoir évoqué les Bénédictins anglais dont la nouvelle Ecole occupe les lieux, il parle de Victor Hugo, enfant, aux Feuillantines, tout juste derrière la Schola. Bien que tout ait changé, un coup d'œil sur la vue aérienne dans Google Map montre ce qui reste des jardins conventuels (et la Schola n'est pas en reste). André Hallays, pour terminer, parle de César Franck qui habitait tout près, au 95 Boulevard Saint Michel (voyez avec Google Map), dont la Schola est "l'œuvre posthume". Jean de Muris, dans le numéro de septembre-octobre 1900  de la Tribune de Saint Gervais (p. 233), parle de César Franck comme le "pater seraphicus" (le Maître angélique) "de notre génération de désabusés et de cyniques".

Les locaux de la rue Saint Jacques sont décrits en détail dans différents numéros de la revue de l'année 1900, ainsi  : "Quant aux autres étages de l'aile droite, ils constituent plusieurs appartements réservés au directeur, au personnel et à la domesticité. Il s'y trouve aussi quelques chambres isolées qui peuvent également servir à des classes partielles." Charles Bordes habite à la Schola et y conserve un appartement après son départ pour Montpellier (en 1905). Dans une lettre à Alexandre Guilmant du 28 janvier 1904, Vincent d'Indy note aigrement, "Bordes sera logé à l'Ecole et une pension annuelle lui sera faite. […] Il aura donc une situation à l'abri de tout et pourra, quand il en sera capable, reprendre ses concerts de province dont le bénéfice lui restera acquis personnellement." (Vincent d'Indy, Ma vie, Journal de jeunesse, Correspondance familiale et intime, Paris 2001, p. 653).

Plusieurs photos d'Eugène Atget montrent la Schola en 1905. Il s'agit du bâtiment 18ème siècle (classé en 1961) avec le fer forgé de l'escalier et les boiseries qui disent l'élégance du lieu.

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Une vue montre l'entrée, derrière se trouve la salle aujourd'hui appelée "Vincent d'Indy" où l'on peut accéder de l'extérieur par le fameux perron.

Schola-2--ancien-monastere-des-Benedictins-anglais-e--At.jpg

Dans une autre pièce nous sommes vraiment à la Schola : on voit un piano et des chaises et aussi l'éclairage qu'on a déjà vus sur une autre photo.

Schola-2--ancien-monastere-des-Benedictins-anglais--sall.jpg

Ces documents proviennent de la bibliothèque de l'INHA.

La Schola Cantorum existe toujours, au même endroit. Un panneau rappelle les débuts.

Schola-2--d--panneau-histoire--BC--24-mai-12.JPG

L'institution est très différente, mais il y a de la musique partout. Voyez (d'un clic).

La rénovation des locaux se termine.

Schola-2--escalier--BC--20-avril-13.JPG 

Allez-y.

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10 avril 2013 3 10 /04 /avril /2013 13:35

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Ne soyez pas surpris de trouver dans le blog cette photo très célèbre de la locomotive sur la façade de la Gare Montparnasse, fin octobre 1895. Voici ce que nous dit René de Castéra sur la première Schola dans Dix ans d'action musicale (La Tribune de Saint Gervais, février 1901, p. 50) : "Charles Bordes se mit donc en quête d'un local ; un pur hasard lui fit découvrir celui de la rue Stanislas, où devait être fondée l'Ecole. Depuis quelque temps déjà il fouillait en vain divers coins de Paris quand, un jour, il fut attiré par le spectacle surprenant de cette locomotive qui, après avoir traversé la gare Montparnasse, s'était abattue sur la place, en contrebas de celle-ci, sans avoir réussi à descendre la rue de Rennes ; l'encombrement dû à cet accident l'obligea à prendre le boulevard Montparnasse, et c'est ainsi qu'il aperçut à l'angle de ce boulevard et de la rue Stanislas un petit immeuble à louer, adossé à la chapelle du patronage de Nazareth ; l'ayant visité, il se rendit compte qu'il était bien approprié aux débuts de l'Ecole et il le loua."

Le texte ne le dit pas, mais on imagine aisément l'émotion de ce grand utilisateur des chemins de fer qu'était Charles Bordes. L'accident ferroviaire de la gare de l'Ouest (c'était son nom officiel) a eu lieu le 22 octobre 1895. La locomotive resta 4 jours suspendue avant d'être dégagée. Cliquez ici, si les trains vous passionnent aussi.

La création de l'Ecole avait été décidée dans le bureau de La Tribune de Saint Gervais, rue François Miron, au cours de réunions le 6 et le 15 juin 1894 (cf Bernard Molla, Thèse, Tome I, p. 67 et suivantes). Dans une lettre à André Pirro du 5 mars 1896, Charles Bordes écrit : …nous venons de signer notre bail pour notre école de musique religieuse sise 15, rue Stanislas près ND des Champs. (cf Bernard Molla, Thèse, Tome III, p. 130). Dans une autre lettre, il dit que le loyer doit être donné à M. Trouille, représentant légal du Patronage. C'est la date du mois de mars 1896, très importante, que cite René de Castéra en l'attribuant par erreur au fameux accident de la locomotive.

On lit, dans la Tribune de Saint Gervais (mars 1896, p. 42) : "…la Schola Cantorum vient de louer un immeuble, situé à Paris, 15 rue Stanislas, à l'angle du boulevard Montparnasse. C'est un corps de logis absolument indépendant, ayant façade sur la rue et sur le boulevard, parfaitement aménagé pour les classes, études, conférences, répétitions particulières, la bibliothèque." C'est une présentation fort riante d'un local dont l'exiguïté était la caractéristique. René de Castéra note (La Tribune de Saint Gervais, février 1901, p. 51) : "le local était assez restreint, n'ayant qu'un seul étage. Ce corps de logis, qui n'avait d'autre avantage que d'être absolument indépendant, put contenir au rez-de-chaussée un bureau d'édition, le cabinet du directeur, le secrétariat et 3 classes ; puis au premier étage, auquel on accédait par un petit escalier en colimaçon, une autre classe servant de bibliothèque et l'appartement de M. Bordes." Ce dernier y aménagea en avril 1896. Dans une lettre à André Pirro du 21 avril 1896, il écrit : "Pardonnez-moi mon silence ;  je peins, je plombe, je cogne, je colle ; mes ouvriers sont d'une lenteur désespérante et je déménage après-demain." Sans doute Charles Bordes allait-il quitter son entresol de la rue La Rochefoucauld.

Pour la 3e année de la Schola (1898-1899), avec le succès de l'Ecole, dix enfants furent recrutés. René de Castéra écrit : "La Schola leur donna un enseignement gratuit, et aussi la nourriture, le logement, etc. A cet effet il fallut de nouveau transformer le local de l'Ecole ; de l'appartement de M. Bordes (dont la chambre avait dû être réparée, une poutre ayant pris feu sous le foyer de la cheminée) on fit le dortoir des enfants, avec, à côté, la chambre de leur directeur et le réfectoire."  

Les lecteurs comprendront pourquoi nous donnons tous ces détails : il ne reste plus rien de la première Schola. Même le 15 rue Stanislas n'existe plus. Il y en a une image (non sourcée, est-elle crédible ?) sur une feuille paroissiale montrant l'église en 1875. En scrutant, on voit sur la droite un bâtiment à un étage qui aurait pu abriter la Schola Cantorum :

Schola-1--gravure--ND-des-C-en-1875--detail.jpg

Actuellement, voici ce que l'on voit depuis le square Ozanam :

Schola-1--15-rue-Stanislas--BC--26-fevrier-13.JPG

ou bien en allant plus au fond du square :

Schola 1, Square Ozanam, boudichouti, 761850461

A droite, c'est l'église Notre Dame des Champs, dont nous allons reparler. On n'est pas très loin de la Tour Montparnasse, visible sur cette photo de la rue Stanislas, juste en arrivant au n° 15 :

Schola-1--emplacement--BC--26-fevrier-13.JPG

Derrière nous, séparé de la première Schola par ce qui est aujourd'hui la rue Péguy, se trouvait le Patronage de Nazareth et sa chapelle.

Reste de cette fin du 19e siècle l'église Notre Dame des Champs, ici sur une carte postale de l'époque :

Schola-1--ND-des-Champs-vers-1900.jpg

Lorsque la Schola Cantorum s'est installée, l'église, terminée par l'architecte Léon Ginain en 1876, avait tout juste 20 ans. L'orgue avait été commandé à Aristide Cavaillé-Coll, dont les ateliers étaient tout près, avenue du Maine, et qui était paroissien de Notre Dame des Champs. Alexandre Guilmant ne pouvait qu'apprécier le fait, et c'est un petit orgue du même facteur qu'il a installé à la Schola pour la rentrée 1898. Guilmant, avec César Franck, Charles Gounod, etc. avait fait partie du jury, en 1877,  pour la désignation du premier organiste de l'église, l’alsacien Auguste Andlauer.

Actuellement, à l'emplacement de la première Schola, un bâtiment style années 30 occupe l'angle de la rue Stanislas et du boulevard (n° 93).

Schola-1--immeuble-93-Boulevard-du-Montparnasse.jpg

Il a abrité pendant de nombreuses années la Direction de l'Aviation Civile. Puis la Ville de Paris lui a donné une autre destination, non résolue à cette date. Si cela vous intéresse voyez d'un clic ce qu'en dit la Ville le 17 octobre 2011, le Maire UMP du 6e arrondissement, Le Figaro, ou L'Humanité.

Les articles de René de Castéra sous le titre Dix ans d'action musicale, dans la Tribune de Saint Gervais en 1900 et 1901, parlent des débuts de la Schola Cantorum. Leur lecture fait revivre ces fantômes. Avant que nos pas nous conduisent vers la rue Saint Jacques, notre dernier regard vers cette première Schola tombe sur les crocus du square Ozanam, photographiés en février 2013.Schola 1, crocus square Ozanam, BC, 26 février 13

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3 avril 2013 3 03 /04 /avril /2013 10:36
Saint-Gervais--facade--CP-ancienne.jpg
C'est autour de l'église Saint Gervais que la stature de Charles Bordes est formée. C'est par là qu'il est traditionnellement le plus connu.
Il faut bien voir qu'il y a trois choses différentes : l'église Saint Gervais-Saint Protais dont il est Maître de chapelle, les Chanteurs de Saint Gervais, ensemble créé par lui, qui chante dans l'église du même nom, mais ne dépend pas d'elle, et enfin la revue La Tribune de Saint Gervais qui par la suite prolongera l'action de Charles Bordes, notamment dans le cadre de la Schola Cantorum.
C'est de l'église, appelée souvent "l'église des Couperin" dont nous parlerons surtout ici, dans ce billet qui évoque une autre face du "Paris de Charles Bordes".
La thèse de Bernard Molla décrit abondamment l'action liturgique de Charles Bordes et on lira avec intérêt les pages qui y sont consacrées (Thèse, Tome I, p. 17 et suivantes).
Aidé par le curé de Nogent-sur-Marne, l'Abbé Ferdinand, Charles Bordes fut présenté au Chanoine de Bussy, curé de Saint Gervais, qui le fit nommer Maître de chapelle en mars 1890. René de Castéra, dans Dix années d'action musicale (Tribune de Saint Gervais, mars 1900, p. 77), décrit la communion entre le musicien et le bâtiment : "Sa première visite, avant de faire sa demande,  fut pour l'église, et nous lui avons entendu raconter bien souvent combien il fut saisi par la hardiesse de la nef entrevue derrière l'autel par une journée basse et pluvieuse de mars qui laissait errer sous la voûte des vapeurs violettes. "Quel beau vaisseau pour faire de la musique !" s'écria-t-il ; dès lors
Saint-Gervais--nef--W.jpgla vieille âme de la pierre avait parlé à l'âme de l'artiste, et de leur communion devaient sortir un jour des flots d'harmonie." (Ce passage est également cité par Bernard Molla, Thèse, Tome I, p. 17.)
L'orgue vénérable et sa tribune
Saint Gervais, orgue, CP, Mona éditeur
s'imposent aussi au regard du musicien. Plusieurs fois restauré, il le sera en 1909, par la maison Merklin, après l'avis d'Alexandre Guilmant.
Charles Bordes quitta cet emploi, expulsé en quelque sorte, en mai 1902. Il y a donc été Maître de chapelle pendant 12 ans. Le goût du public et le climat musical reflété par les fabriques des églises, allait vers une musique plus facile et plus mondaine. Alexandre Guilmant, à la Trinité depuis 1871, perdit à la même époque son siège d'organiste pour avoir joué des œuvres jugées trop sévères.
Revenons à l'extérieur. Venant par la rue François Miron, l'église apparaît à gauche.
Saint Gervais, rue François Miron, juin 12, BC 
On voit aussi les marches au pied de la maison des Couperin. D'autres personnages illustres y eurent un appartement et Ledru Rollin y naquit en 1825.
Sur la place, devant l'église, il y a le fameux orme, ici sur une gravure ancienne.
Saint Gervais, orme, gravure ancienne 
C'était un lieu traditionnel de Paris. Des hommes y attendaient qu'on loue leurs services, c'est là que l'on payait des loyers, des dettes ; quelquefois on se défilait, d'où l'expression par antiphrase passée dans la langue : "Attends-moi sous l'orme." pour dire que l'on ne paiera pas.
L'orme d'aujourd'hui (qui date quand même, malgré la maladie, de 1935) porte une notice qui rappelle ce passé.
Saint-Gervais--orme--juin-12--BC.JPG
En se retournant on voit la façade baroque de l'église Saint Gervais.
Saint-Gervais--Saint-Protais--facade--W.jpg
A l'intérieur, une plaque, dans une chapelle de gauche, évoque la présence et l'action de Charles Bordes.
Saint Gervais, plaque CB, mars 09, BC 
Dès juin 1890, Charles Bordes a voulu marquer la fête de Saint Gervais et Saint Protais (le 19) par la Messe à trois voix (en la majeur) de Franck avec César Franck lui-même à l'orgue. Le disciple rendait ainsi hommage à son maître.
Le groupe choral "Les Chanteurs de Saint Gervais" a été rapidemennt constitué, formé de professionnels et d'amateurs (cf Bernard Molla, Thèse, Tome I, p. 28 et suivantes).
Saint-Gervais--Bordes-et-ses-chanteurs--BM-p.22.jpg
La photo, qui montre Charles Bordes dirigeant ses chanteurs dans l'église Saint Gervais, est empruntée à la thèse de Bernard Molla, Tome I, p. 22. Les chœurs étaient disposés dans les chapelles ou dans les tribunes du transept. Ils étaient invisibles aux fidèles. L'un était dirigé par Charles Bordes, l'autre par Julien Tiersot.
La Messe posthume (en ut mineur, opus 147) de Schumann sera donnée le 8 février 1891 (en cliquant ici, écoutez-en le kyrie chanté par le Kölner Kammerchor) et deux mois plus tard (26 mars 1891) le Stabat Mater de Palestrina et le  Miserere d'Allegri. On trouvera dans la thèse de Bernard Molla les affiches de ces concerts reproduites, comme (p. 21) celle que nous donnons ici.
Saint-gervais--Stabat--affiche--BM-p.21-copie-1.jpg
En cliquant ici, vous entendrez le Stabat Mater de Palestrina chanté en octobre 2011 par le Taverner Consort et en cliquant , le  Miserere d'Allegri chanté en février 2012 par l'ensemble A Sei Voci.
Saint Gervais marque un ancrage parisien important pour Charles Bordes. Comme on sait, c'était un grand voyageur, souvent en chemin de fer. Avec les Chanteurs de Saint Gervais, paradoxalement, il a parcouru toute la France. Voyez, dans la thèse de Bernard Molla (Tome I, chapitre 5, pp. 177-219) la liste de ces voyages de propagande et cette extraordinaire carte de France des villes visitées. Charles Bordes parle des villes "évangélisées", mais il s'agit – les lecteurs de ce blog l'auront compris – de musique avant tout.
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