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7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 19:49

 

On devrait mieux regarder les monuments qui ornent nos villes et nos villages. Ils sont pleins d'enseignement. A Vouvray, il y a le buste de Gaudissart, le personnage de Balzac. Ce n'est pas notre sujet ici. En face, au bout de la place, se trouve le buste en bronze de Charles Vavasseur par le sculpteur Aimé Octobre. C'est presque notre sujet. Le sculpteur est dans sa chapelle, là-haut au "cimetière dans les vignes", en face du tombeau Bordes/Bonjean. Vavasseur est tout près, lui aussi, sa tombe est peut-être à une dizaine de mètres de celle de Charles Bordes. Il a été élu Maire de Vouvray en 1908, il était présent le 20 janvier 1910 pour l'inhumation du musicien et il était aussi présent le 17 juin 1923 lors de l'inauguration du monument Charles Bordes.

(Charles Vavasseur, député de 1919 à 1924, est resté maire jusqu'en 1944 ; on peut lire avec profit le mémoire d'Alain Lecomte : Charles Vavasseur (1867-1950) : leader de la droite tourangelle d'une guerre à l'autre, Tours 1998, consultable à la BMV.)

 

monument--8843-JPG

 

Ce monument est appuyé sur le mur sud de l'église de Vouvray. Il a été vu des centaines de fois. On ne l'oublie pas.

 

monument, chanteurs et antiphonaire, 9384.

 

Les trois enfants qui chantent, dans la joie et dans la douleur, marquent les esprits. C'est eux qu'on voit surtout. Puis on remarque le pupitre et les neumes sur l'antiphonaire. Chacun comprend que c'est du grégorien. C'est une évocation claire et puissante. Récemment, à la fin d'une visite guidée de cet endroit, un jacquaire, inspiré par le lieu et l'œuvre, entonnait un chant liturgique appris dans son enfance.

Y a-t-il un sens particulier à cette partition dans la pierre ?

Que chantent-ils ? La question a été posée à Solesmes. Sans texte, c'est difficile, mais Dom Daniel Saulnier reconnaît dans la première ligne du manuscrit la mélodie de l'introït : "Circumdederunt me gemitus mortis", c'est-à-dire, selon la Bible de Port Royal, pour ce Psaume 116,3 "Les douleurs de la mort m'ont environné" (et sans provocation ou œcuménisme je proposerai "The sorrows of death compassed me" dans l'Authorised version de 1611, parce que c'est mieux écrit). A l'opposé de cette détresse, la deuxième ligne est celle de l'introït du 4e dimanche de Carême : "Laetare Ierusalem et conventum facite", soit : "Réjouissez-vous avec Jérusalem, … vous tous qui l'aimez". La douleur, la joie, c'est ce qu'exprime la sculpture.

Si l'artiste a bien réalisé cette partie du monument, établissant un lien entre l'endroit (l'église, la Pierre d'attente des morts, devant le monument), les chanteurs et ce qu'ils chantent, il n'a pas disposé de la documentation adéquate pour le médaillon censé représenter Charles Bordes de profil en haut de ce contrefort. Charles Bordes avait 46 ans quand il est mort, et il n'a jamais ressemblé à ce notable tranquille (ailleurs, je l'ai qualifié de "barbon", on me pardonnera). Cela ne ressemble pas à ce que les photographies nous montrent et nous sommes loin de ce profil très réussi qui se trouve dans l'église Saint Gervais à Paris.

 

portrait--plaque-St-Gervais--9173-JPG

 

Certains trouvent que le monument manque d'unité. D'une part on voit les choristes en surplis et leur partition sur un lutrin, d'autre part ce contrefort d'église avec le médaillon où Charles Bordes est représenté. Il s'agit d'une représentation de contrefort, plus petit qu'un contrefort véritable, ramené aux proportions du monument et qui rappelle le contrefort de l'église. Ces deux parties nous disent la même chose. Charles Bordes est défini comme le défenseur du chant liturgique : le texte, gravé sur le socle, nous rappelle qu'il a fondé les Chanteurs de Saint Gervais et la Schola Cantorum. Nous savons qu'il a fait revivre la Semaine Sainte (1892), puis créé cette école (1896), conscient de ce qui menaçait la musique sacrée en cette époque de changements radicaux. Le contrefort, qui fait partie intégrante du monument, souligne ce rôle de soutien : une métaphore sculptée qui fait de Charles Bordes le défenseur de cette cause.

On lit aussi, et c'est même dit en premier, que c'est le compositeur qui est honoré. La même expression vient en premier aussi sur la palme métallique posée sur la tombe, là-haut dans le cimetière. Il faut donc aussi voir dans le monument un symbole de la musique vivante, même si l'œuvre propre de Charles Bordes est souvent estompée.

Un regard, encore, sur cette pierre. L'église a été restaurée il y a quelques années et on voit bien, sur la photo qui ouvre ce bulletin, comme le crépi est en bon état. Le monument n'a pas été touché par les artisans, ils ont bien fait, car il est fragile. Des plaisantins ont badigeonné les bouches des chanteurs et des gouttes ont bavé sur les surplis. Une intervention minuscule m'a montré que la pierre s'en va avec la peinture, dès qu'on y touche. Il ne s'agit pas de nettoyer le monument au karcher, mais de le traiter doucement, avec le respect qu'il mérite.

Le monument de Vouvray est l'œuvre de Médéric Bruno. Nous parlerons du sculpteur dans un prochain billet.

 

monument--mains--4292-JPG

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